Frédéric Dard – Les
pensées de San-Antonio.
Bien évidemment, le commissaire San Antonio avait des
lettres, et pas seulement piochées dans le Fleuve
noir. Il avait lu Pindare et surtout Nietzsche : Deviens, ne cesse de devenir qui tu es — le maître et le formateur de
toi-même (Lire un commentaire ici).
Mais il est bon de
prendre cette injonction du côté du devoir accompli : non pas « Tu
dois », mais « J’ai fait » ; car, comme le dit San-Antonio,
il est possible, passé la cinquantaine, de se retourner sur sa vie et de se
dire : « Il m'aura fallu un
demi-siècle pour devenir ce que j'étais ».
Qu’on prenne la mesure d’une telle remarque. Non qu’il soit
impérieux, face à notre passé, de s’en réjouir ou de se révolter, mais parce
qu’il faut comprendre que tout sa vie on est attelé à la même tâche :
celle de nous développer dans une seule direction.
On peut penser que c’est une rêverie inconsistante :
la vie est faite de chocs et de rebonds dans un brouillard qui ne nous laisse
souvent pas voir plus loin que le bout de notre nez.
Mais ce n’est pas sûr : et si c’était une loi de la
vie, la seule manière de vivre, ce que Spinoza appelait le conatus, effort par le quel nous conservons ou augmentons notre
puissance d’être ce que nous sommes ? (1)
On dira que San Antonio insiste plus sur le devenir que
sur la conservation. Il est plus dans un aspect dynamique que statique. Bref,
il est d’avantage bergsonien que nietzschéen.
Et alors ? Bergson est justement le philosophe qui a écrit (à Léon Brunschvicg) : « on pourrait dire que tout philosophe a
deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza ».
------------------------------------------
(1) Conatus : "effort" d'exister, autrement
dit de persévérer dans l'être constitue l'essence intime de chaque chose. Lire
ce commentaire.
No comments:
Post a Comment