Nous devons, autant que cela est donné à l’homme, vivre
en immortels
Aristote Ethique à
Nicomaque X, 10 – 8 (cité par Bergson – Lire le texte en annexe)
Cette sentence d’Aristote embarrasse à juste titre,
venant d’un homme qui ne croit pas en l’immortalité (voir ici). Du coup, le commentaire de Bergson devient précieux : s’il
n’est pas fidèle à la pensée d’Aristote, du moins nous éclairera-t-il sur la
philosophie de Bergson lui-même !
Voici donc ce commentaire : « … la connaissance intérieure de la vérité
coïncide avec l’acte intemporel par lequel la vérité se pose, et nous fait
sentir et éprouver notre éternité. »
Autrement dit, lorsque nous accédons à des vérités que
nous ne pouvons imaginer avoir inventée, encore qu’on puisse être les premiers
à les avoir découvertes (comme un nouveau théorème de mathématique), éh bien
nous nous considérons à juste titre ces vérités comme étant éternelles (ainsi
des idées venues de la réminiscence chez Platon) : c’est de toute éternité
que la sommes des trois angles d’un triangle équivaut à deux angles droits.
C’est la découverte de cette intemporalité qui constitue l’intuition de la vérité.
Jusque là, pas de problème, n’est-ce pas ? Oui, mais
voilà : sautant pardessus les précipices, Bergson assène maintenant
l’évidence : « la connaissance
intérieure de la vérité (intemporelle) nous fait sentir et éprouver notre
éternité ». Le mathématicien a donc un privilège que le philosophe
consent à partager avec lui : être éternel parce qu’il est le siège de
pensées ayant des objets éternels.
Autrement dit, je
suis ce que je pense.
Même Descartes n’avait pas envisagé de cogito-là !
(1)
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(1) A l’exception de l’intuition de l’existence autonome
de l’âme par rapport au corps qui est pour lui « idée claire et
distincte ».
Annexe
« Spinoza est le penseur auquel nous avons tous
voué, avec l’admiration la plus profonde, une pieuse reconnaissance. Ce n’est
pas seulement parce qu’il a montré au monde, par l’exemple de sa vie, ce que la
philosophie peut faire pour détacher l’âme de tout ce qui est étranger à son
essence. C’est encore et surtout parce qu’il nous fait toucher du doigt ce
qu’il peut y avoir d’héroïque dans la spéculation, et ce qu’il y a de divin
dans la vérité. Aristote avait bien dit que « nous ne devons pas nous attacher,
hommes, à ce qui est humain ; mortels, à ce qui meurt ; nous devons, autant que
cela est donné à l’homme, vivre en immortels ». Mais il était réservé à Spinoza
de montrer que la connaissance intérieure de la vérité coïncide avec l’acte
intemporel par lequel la vérité se pose, et de nous faire sentir et éprouver
notre éternité. C’est pourquoi nous avons beau nous être engagés, par nos
réflexions personnelles, dans des voies différentes de celles que Spinoza a
suivies, nous n’en redevenons pas moins spinozistes, dans une certaine mesure,
chaque fois que nous relisons L’Éthique, parce que nous avons l’impression
nette que telle est exactement l’altitude où la philosophie doit se placer,
telle est l’atmosphère où réellement le philosophe respire. En ce sens, on
pourrait dire que tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza. »
Henri Bergson, lettre à Léon Brunschvicg, 22 février 1927
; Journal des Débats, 28 février 1927.
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