Leiris
(1)
Picasso
– « Autoportrait face à la mort » - 1972 (moins d’un an avant la mort
de l’artiste)
Si l’on accepte l’idée que voir notre visage serait une
expérience humiliante de notre propre laideur, on peut s’interroger sur la
pratique si constante de l’autoportrait chez les peintres – et des selfies pour
le commun des mortels. S’agit-il d’une pratique
masochiste visant à contempler cette repoussante laideur qui est la
notre ? S’agit-il de se rassurer en constatant que – tout compte fait – on n’est pas si moche
que ça ? Ou bien s’agit-il d’apprivoiser ce visage qui est le notre, qui est
même le plus proche de nous qu’il est possible et qui, pourtant nous paraît si
étrange ?
Sans pouvoir généraliser ce serait là mon hypothèse :
cet autoportrait face à la mort de Picasso est une recherche de soi-même, telle
qu’un artiste peut la faire. Et en effet, un artiste peintre est quelqu’un qui
trouve l’essence des choses dans la révélation – il vaudrait mieux dire : la monstration – de ce qu’elles dévoilent
lorsqu’on les représente en peinture. On sait combien de commentaires ont suscité les souliers peints par Van Gogh. Alors que ces souliers
« réels » seraient justes bons à mettre à la poubelle, avec leur
représentation peinte, c’est toute la fatigue du travailleur qu’on
retrouve : pourquoi pas l’angoisse de la mort dans un autoportrait ?
o-o-o
Alors bien sûr inutile de penser trouver la même démarche
dans la pratique du selfie. Celui-ci est non seulement plus superficiel, mais
il est aussi essentiellement narcissique. Ce qu’on cherche à capter, c’est le
beau visage, dans un beau décor, éventuellement avec des beaux amis.
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(1) Voir aussi l’anecdote semblable racontée par Freud et
citée ici.
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