Le bonheur
des méchants comme un torrent s’écoule.
Racine – Athalie II, 7
« Ad nihilum devenient (peccatores), tanquam aqua decurrens.
» (Faites-les disparaitre comme l’eau qui se perd)
Psaume LVII, 8
(Vulgate)
On admire la
concision racinienne, la puissance qui se dégage de ses ellipses abruptes. Soit
– mais quand on lit ce vers, et qu’on retrouve une édition qui met en note pour
l’éclairer ce verset du Psaume 57, on se dit alors qu'on doit imaginer un
tout autre sens, le torrent qui s’écoule avec une impétueuse puissance chez
Racine devenant dans le Psaume de David
l’eau qui se perd dans les sables.
Mais
quoi ? Si le vers de Racine avait le sens qu’il paraît porter, il aurait vanté
le pouvoir des méchants de jouir d’un bonheur sans limites : quelle leçon
d’immoralisme, voire même de débauche, donnée à la cours du Grand Roi !
Impossible, puisqu’au lieu de punir les méchants par le malheur qu’ils ont
mérité, Dieu permettrait qu’ils jouissent du bonheur en récompense leurs vices.
Reste donc l’idée que le bonheur des méchants soit fugitif, qu’il disparaisse
aussitôt qu’il se manifeste, parce qu’il porte en lui les germes de sa
destruction.
o-o-o
Et pourtant,
si les méchants pouvaient réellement jouir
du bonheur ? Si, comme le soutient la Bible, il fallait attendre longtemps - très longtemps - jusqu’au
Jugement dernier pour que la justice fut rétablie, pour que ceux qui ont joui
toute leur vie d’un bonheur obtenu aux dépens des faibles, soient enfin châtiés
et précipités en enfer au lieu d’être ressuscités ?
Quoique… Je viens
d’écrire : « un bonheur obtenu
aux dépens des faibles » : est-ce à dire que ce bonheur existe ?
Peut-on être heureux aux dépens des autres ? Faudrait-il un miracle pour
que de tels êtres dépravés soient punis ? Terrible éventualité !
Voyez un
peu : imaginons que le plus grand Roi de France, comme le fut Louis XIV,
au lieu d’être noble bon et glorieux, ait été fourbe et méchant. Il aurait été
entouré de courtisans qui vanteraient perfidement son rayonnement, et il aurait
fait la guerre aux pays voisins satisfaisant ainsi son goût de la souffrance
infligée aux pauvres peuples. Qu’est-ce qui l’empêcherait d’être heureux en
satisfaisant ses mauvais penchants, attendu que personne ne pourrait se dresser
contre lui ? Pire encore : peut-être même même que ces vices auraient
fait la richesse du royaume – comme dans la ruche de la Fable des abeilles (1).
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(1) La Fable des abeilles décrit avec
passablement de cynisme les ressorts de la prospérité de l'Angleterre du 18ème
siècle. Mandeville y dénonce les fausses vertus que sont, par exemple, la
modestie, la décence, l'honnêteté et le sens de la hiérarchie. Il tente de
montrer comment la convoitise, l'orgueil et la vanité sont les ressorts de
l'opulence. Il souligne, en somme, l'utilité économique des vices et montre, du
même souffle, l'harmonie naturelle des intérêts. (Lire ici)
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