Lacordaire –
Conférence de Notre-Dame de Paris (1835)
Deux manières de lire cette citation :
- L’une, banale, consiste à dire que l’enfant qui vient
de naitre commence un périple qui passe par toutes les étapes de
l’hominisation : c’est comme cela qu’il va accéder finalement au statut
d’être humain à part entière. On jugeait ainsi autrefois que l’enfance était
une période de la vie qui se définissait par ses carences plutôt que par ses
richesses spécifiques: l’enfant est un petit homme (femme) privé de
raison : ne dit-on pas que 7 ans est l’âge de raison ? (1)
- L’autre consiste à inverser les éléments de la phrase :
l’humanité à son commencement était comme le petit enfant aujourd’hui. Les
hommes primitifs (les chasseurs cueilleurs du paléolithique) étaient des grands
enfants, et l’évolution de l’humanité passe par une succession d’étapes
analogues à celles de l’adulte qui avant d’arriver à l’âge d’homme doit d’abord
être adolescent, puis jeune homme, etc…
Cette croyance qui paraît simplement naïve et innocente,
est liée à des préjugés antérieurs au développement de la science ; mais
elle est en réalité toujours active dans la théorie des races. Sinon, pourquoi serions-nous
si réactifs dès que le mot « race » apparait ?
--> C’est que l’idée de race est intimement liée à
celle d’évolution différentielle de l’humanité, certaines de ces races étant
considérées comme des fossiles vivants venus de périodes archaïques : les
« races » jugées primitives aujourd’hui étant faites d’enfants dans
un corps d’homme. Raison pour la quelle les colonisateurs devaient les
gouverner comme on gouverne les enfants, avec toutefois la différence que
l’enfant évolue vers l’âge adulte alors que le sauvage passé à l’âge adulte
sans être sorti de l’enfance ne pourrait jamais accéder à la véritable
indépendance (2)
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(1) Sur tout cela, lire le livre d’Elisabeth Badinter
« L’amour en plus ». (1980)
(2) Là encore, pour mémoire, qu’on relise si on en a le
courage le discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en 2007 :
« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré
dans l’Histoire. Le paysan africain qui, depuis des millénaires, vit avec les
saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît
que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des
mêmes gestes et des mêmes paroles. Etc. ».
Et toujours pour mémoire qu’on se rappelle que tout cela
est pompé dans Hegel : « L'Afrique n'est pas une partie historique du
monde. Elle n'a pas de mouvements, de développements à montrer, de mouvements
historiques en elle. C'est-à-dire que sa partie septentrionale appartient au
monde européen ou asiatique ; ce que nous entendons précisément par l'Afrique
est l'esprit ahistorique, l'esprit non développé, encore enveloppé dans des
conditions de naturel et qui doit être présenté ici seulement comme au seuil de
l'histoire du monde. » Hegel, Leçon sur la philosophie de l’histoire
(1822-1823)
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