Le mur interdit le passage; la frontière le régule. Dire
d'une frontière qu'elle est une passoire, c'est lui rendre son dû: elle est là
pour filtrer.
Régis
Debray – Eloge des frontières (2010)
Dessin
de Willem – Libération du 6 octobre 2015
On retrouve dans ces deux citations (je compte en effet le
dessin de Willem) les deux conceptions de la frontière : le filtre et le
rempart.
Régis
Debray d’abord : il apporte l’éclairage de l’historien :
les frontières ont d’abord été destinées non à empêcher, mais à contrôler le
passage entre le territoire national et l’extérieur. On dit même qu’elles
furent d’abord instituées pour vérifier que ceux qui sortaient du pays avaient
bien acquitté leurs impôts ; comme quoi l’évasion fiscale ne date pas
d’aujourd’hui ! L’expression « frontière
passoire » n’est en effet péjorative que si on entend le terme de
« frontière » dans son sens de rempart.
Willem
ensuite : les frontières y sont celles de la peur – peur des autres qui
eux mêmes ont peur de nous, etc. Pas besoin de beaucoup de réflexion pour
saisir que ces frontières-là fragmentent, qu’elles isolent mais qu’elles ne
relient pas. La représentions la plus claire des frontières est alors le
domicile privé, porte fermée, volets clos et police dans la rue pour s’assurer
qu’elle est bien déserte – ou comme dans le dessin de Willem, chacun enfermé
dans une tôle roulée serrée autour de lui.
--> Est-ce bien ça que nous voulons ? Si on n’est
pas trop pointilleux pour définir le « nous » en question, je
répondrai: plus ou moins, mais l’important est de comprendre de qui avons-nous peur ?
La frontière nous protège des étrangers, ce sont eux qui
font peur, parce qu’il y a trop d’étrange dans l’étranger ; parce que,
comme disait Freud, il y a une « inquiétante étrangeté » (Das
Unheimliche).
Une anecdote que Freud nous raconte pour expliquer cette
inquiétude devant l’étranger : « Alors
qu’il voyageait dans un train, il se leva de sa banquette pour interpeller le
contrôleur. Lorsqu'il se leva, il vit un homme, à l'extérieur de son
compartiment, à la silhouette antipathique, désagréable, voire inquiétante. Cet
homme qu'il apercevait sans réellement distinguer ses traits était en fait son
reflet que lui renvoyait la vitre de la porte. »
Et alors ? Peut-être avons-nous raison de nous méfier
des étrangers dans la mesure où ils sont des hommes comme nous « Il n’y a point de bête au monde tant à
craindre à l’homme que l’homme. » disait Montaigne (Essais II, 19)
Mais ça, c’est une autre histoire…
No comments:
Post a Comment