Tuesday, October 13, 2015

Citation du 14 octobre 2015

Il faut rire de tout. C'est extrêmement important. C'est la seule humaine façon de friser la lucidité sans tomber dedans.
Pierre Desproges – Vivons heureux en attendant la mort
Chimiothérapie, métastases, Professeur Schwartzenberg, espoir : cherchez l’intrus.
Pierre Desproges – En scène peut-être pour la dernière fois avant d’être emporté par la maladie 

Peut-on rire de tout ? Cette question revient comme une rengaine ces jours-ci, alimentée par le reproche de commettre des entorses au respect dû (entre autre) aux autres-souffrants ou aux religieux.
Mais le philosophe qui est très-malin ne se laisse pas attraper : il va contourner la question et en poser une autre qu’il juge bien plus importante. Comme celle-ci : à supposer qu’on le puisse, pourquoi donc faudrait-il rire de tout ? Et c’est là que tombe le jugement de Desproges, dont on sait qu’atteint d’un cancer fatal il s’est quand même permis d’en rire – ou du moins d’en faire rire : C'est la seule humaine façon de friser la lucidité sans tomber dedans.
Le rire est donc une façon de dire des choses désespérantes dans leur brutalité – sans pour autant en désespérer. C’est comme cela qu’on dit qu’un Juif a le droit de blaguer avec la Shoah mais pas un goy : c’est que pour le juif, rire de la shoah dont il se sent viscéralement menacé, c’est en désamorcer l’horreur et la terreur, en faire un objet un peu ridicule de la réalité ; en rire c’est justifié parce que ça sert à quelque chose, alors que pour le goy, au mieux c’est un rire qui ne sert à rien, un rire gratuit (une vanne comme on dit aujourd’hui). Tiens ! Voilà donc qu’on trouve la réponse à notre question de départ : on peut rire de tout à condition que ça serve à quelque chose.
On pourrait me reprocher de justifier le rire qui sert à faire passer un message raciste et antisémite (comme celui de Dieudonné). Ou encore de croire que le rire permet de dire n’importe quoi sous réserve de faire rire. Non bien sûr : le rire que justifie notre citation, c’est le rire qui nous fait friser la lucidité, celui qui nous permet de nous en dégager : autant dire qu’on rit alors d’abord de soi-même.

Bien sûr, on admet peut-être un peu rapidement que rire de l’horrible réalité soit une façon de la dominer – ou du moins de la surplomber. Est-ce donc vrai ? Peut-être à condition d’avoir le talent de faire rire avec ça : chose dont Pierre Desproges était capable.

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