Il faut rire de tout. C'est extrêmement important. C'est la
seule humaine façon de friser la lucidité sans tomber dedans.
Pierre
Desproges – Vivons heureux en attendant la mort
Chimiothérapie, métastases, Professeur Schwartzenberg,
espoir : cherchez l’intrus.
Pierre
Desproges – En scène peut-être pour la dernière fois avant d’être emporté par
la maladie
Peut-on rire de tout ? Cette question revient comme une
rengaine ces jours-ci, alimentée par le reproche de commettre des entorses au
respect dû (entre autre) aux autres-souffrants ou aux religieux.
Mais le philosophe qui est très-malin ne se laisse pas
attraper : il va contourner la question et en poser une autre qu’il juge bien
plus importante. Comme celle-ci : à supposer qu’on le puisse, pourquoi donc faudrait-il rire de tout ?
Et c’est là que tombe le jugement de Desproges, dont on sait qu’atteint d’un
cancer fatal il s’est quand même permis d’en rire – ou du moins d’en faire
rire : C'est la seule humaine façon
de friser la lucidité sans tomber dedans.
Le rire est donc une façon de dire des choses désespérantes dans
leur brutalité – sans pour autant en désespérer. C’est comme cela qu’on dit
qu’un Juif a le droit de blaguer avec la Shoah mais pas un goy : c’est que
pour le juif, rire de la shoah dont il se sent viscéralement menacé, c’est en
désamorcer l’horreur et la terreur, en faire un objet un peu ridicule de la
réalité ; en rire c’est justifié parce que ça sert à quelque chose, alors
que pour le goy, au mieux c’est un rire qui ne sert à rien, un rire gratuit (une vanne comme on dit aujourd’hui). Tiens !
Voilà donc qu’on trouve la réponse à notre question de départ : on peut
rire de tout à condition que ça serve à quelque chose.
On pourrait me reprocher de justifier le rire qui sert à
faire passer un message raciste et antisémite (comme celui de Dieudonné). Ou
encore de croire que le rire permet de dire n’importe quoi sous réserve de
faire rire. Non bien sûr : le rire que justifie notre citation, c’est le
rire qui nous fait friser la lucidité,
celui qui nous permet de nous en dégager : autant dire qu’on rit alors d’abord
de soi-même.
Bien sûr, on admet peut-être un peu rapidement que rire de
l’horrible réalité soit une façon de la dominer – ou du moins de la surplomber.
Est-ce donc vrai ? Peut-être à condition d’avoir le talent de faire rire
avec ça : chose dont Pierre Desproges était capable.
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