Samuel Beckett – Fin
de partie (1957)
Aussitôt qu’un homme vient à la vie, il est déjà assez
vieux pour mourir.
Heidegger – Etre et
temps, § 48
Voyez ces jeunes gens qui s’aiment. Leur histoire d’amour
vient juste d’éclore et ils se découvrent mutuellement avec ravissement. Ils
font rimer amour avec toujours : « Jamais je ne te quitterai, même la
mort ne pourra pas nous séparer. » La profondeur et l’intensité de leur
sentiment sont si forts qu’elles constituent, comme la foi religieuse, une
preuve plus que suffisante que cet engagement soit nécessairement éternel.
o-o-o
Mais il y a plus : le petit enfant nous semble un
être destiné à vivre, quelqu’un qui ne peut subir la mort. Et pourtant cette
réalité que le bébé peut lui aussi mourir, Heidegger nous met « le nez
dedans » : tant pis pour nous si ça nous scandalise – oui, le petit
enfant peut lui aussi mourir, il est déjà
assez vieux pour mourir.
Mais quel scandale !
Le cadavre du petit Aylan noyé sur la plage (Je ne republie pas la
photo, on peut la voir ici) a violemment ému parce qu’il nous présentait cette réalité
insoutenable : un petit enfant mort !
La nature de cette résistance à un tel fait, pourtant
connu de chacun, est d’ordre psychologique et c’est Freud qui l’a théorisé en
1923 avec le concept de déni de réalité (Verleugnung) :
« Ce mécanisme
prouve son efficacité en tant que défense du moi, dans le sens où il empêche un
conflit entre une perception réelle fortement désagréable pour le moi et la
perception voulue en accord avec la réalité pré-construite de l’individu, non
par une comparaison de ces deux réalités, l’une extérieure, l’autre de pensée,
mais par une suspension de jugement et donc de décision vis à vis de ces
contradictions. » (Lu ici)
Voilà donc : l’insoutenable réalité est là, devant
nos yeux, mais il faut continuer à vivre malgré tout, donc il faut faire comme
si tout cela n’était pas possible… Certes, la
fin est dans le commencement, et cependant on continue – il faut continuer.
Donc, évitons de voir l’enfant mort, parce que ça nous
tape méchamment sur l’inconscient - et
ça fait très mal…
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