Tuesday, April 18, 2017

Citation du 19 avril 2017

Le journaliste est l'historien de l'instant
Albert Camus – Editorial de Combat, 1er septembre 1944.

Lisons le texte de Camus (rapporté in extenso en annexe) et commentons-le chemin faisant :
« (Un journaliste), c’est … un historien au jour le jour, et son premier souci doit être de vérité. Peut-on dire aujourd’hui que notre presse ne se soucie que de vérité ? »
Ici, Camus pose la question, mais il considère que la réponse est suffisamment évidente : ne dit-on pas en effet que « Thucydide écrivait la guerre du Péloponnèse alors qu’elle se déroulait. » ? (1)

Il change alors de registre : le journaliste, c’est aussi celui qui veut être le premier à relater un événement : « Comme il est difficile de toujours être le premier, on se précipite sur le détail que l’on croit pittoresque ; on fait appel à l’esprit de facilité et à la sensiblerie du public. »
- Détaillons ce que nous venons d’apprendre : pour être le premier, le journaliste s’attache aux détails, à ce que ses confrères ont négligé de rapporter. Mais ça ne suffit pas : il faut aussi valoriser ces détails en montrant leurs aspects pittoresques – et si ça ne suffit pas encore : émouvants. Mais comment être particulièrement apprécié du public avec ça ? En étant le plus facile à lire et à comprendre. Et comme ça risque de n’être toujours pas suffisant, on va manipuler la sensibilité du public, de façon à ce que le détail émouvant émeuve (sic). « On crie avec le lecteur, on cherche à lui plaire quand il faudrait seulement l’éclairer. »

- Bon : où est le problème ?
Le problème dit Camus c’est que tout ça « donne toutes les preuves qu’on (= le journaliste) le méprise (= le public) » On a compris que Voici méprise ses lecteurs en les nourrissant avec de la pâté pour les cochons.
- Il ne reste plus qu’à dérouler la suite : « L’argument de défense est bien connu : on nous dit, « c’est cela que veut le public ! ». Non, le public ne veut pas cela ; on lui a appris pendant vingt ans à le vouloir, ce qui n’est pas la même chose. »
Et même c’est le moment, dit Camus de créer enfin la presse responsable de demain : « [De nos jours] (= 1944) une occasion unique nous est offerte au contraire de créer un esprit public et de l’élever à la hauteur du pays lui-même. »  Albert Camus,
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(1) Nicole Loraux – Thucydide a écrit la Guerre du Péloponnèse (Article de la revue Mètis 1986)
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Annexe :  « Qu’est-ce qu’un journaliste ? C’est un homme qui d’abord est censé avoir des idées. C’est ensuite un historien au jour le jour, et son premier souci doit être de vérité. Peut-on dire aujourd’hui que notre presse ne se soucie que de vérité ? Comme il est difficile de toujours être le premier, on se précipite sur le détail que l’on croit pittoresque ; on fait appel à l’esprit de facilité et à la sensiblerie du public. On crie avec le lecteur, on cherche à lui plaire quand il faudrait seulement l’éclairer. A vrai dire on donne toutes les preuves qu’on le méprise. L’argument de défense est bien connu : on nous dit, « c’est cela que veut le public ! ». Non, le public ne veut pas cela ; on lui a appris pendant vingt ans à le vouloir, ce qui n’est pas la même chose. [De nos jours] une occasion unique nous est offerte au contraire de créer un esprit public et de l’élever à la hauteur du pays lui-même. »

Albert Camus, éditorial de Combat, 1er septembre 1944.

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