Je crois encore qu'on pense à partir de ce qu'on écrit et
pas le contraire.
Aragon
– Je n'ai jamais appris à écrire
Cette idée sur la quelle je suis revenu déjà plusieurs fois éclaire un mystère : d’où vient la pensée ? Ou si l’on veut : en
quoi consiste la création ? Mais éclairer un mystère ce n’est pas le
résoudre : c’est seulement mieux voir pourquoi ça fait mystère.
Disons encore pour mieux souligner l’enjeu de cette question
que l’affirmation d’Aragon ne concerne pas seulement le poète génial ou le
philosophe profond. Elle confirme que chacun, aussi bien celui qui parle en
toute simplicité que celui qui cherche ses mots, ne sait vraiment ce qu’il
pense qu’au moment où il l’exprime.
Je sais bien que certains écrivent en tirant la langue comme
un écolier malhabile, qu’ils cherchent comment dire ce qu’ils veulent dire.
Ceux-là, ils savent bien ce qu’ils ont à dire, mais ils ne savent pas
comment le formuler (comme monsieur Jourdain qui sait bien quel compliment il
veut faire à la marquise, mais qui ne sait pas comment le tourner). Mais en
réalité ce qui cause tout ce trouble, c’est le travail de traduction, car leur
pensée est déjà exprimée dans leur esprit – certes mal exprimée, avec des trous
à boucher, des mauvaises tournures qu’il faut redresser, mais ils savent bien
de quoi ils parlent.
Alors d’où est-ce que
je pense ? En formulant ainsi la question, je fais semblant de
reprendre l’injonction entre protagonistes de débats quelque peut lacaniens
(« D’où tu penses, toi ?! ») ; mais en réalité c’est une
véritable image qui s’impose à moi, celle d’un cratère au fond de ma conscience
d’où jailliraient des images, des pensées, pas forcément adaptées, mais
toujours imprévues. On l’aura compris bien sûr : c’est une question
qui s’impose encore plus lorsque rien ne vient.
Comme dit Nietzsche le « je » du « je
pense » est bien trompeur…
No comments:
Post a Comment