L'égalité civile et politique n'est qu'un aveu
d'impuissance, l'impuissance à classer les mérites.
J.H.
Rosny Aîné – Pensées errante
Et
il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de
la personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion, car on aurait
tort de s'exposer à un grand mal pour procurer seulement un petit bien à ses
parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste
de sa ville, il n'aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver.
DESCARTES – Lettre à
Elisabeth 15 septembre 1645
Voyez la force des préjugés : quand on lit cette
citation de Rosny, on lui trouve un relent de préjugé antidémocratique et même,
disons-le, un tantinet fasciste.
Par contre, que Descartes écrive que l’homme qui vaut plus
que les autres doit être protégé même si c’est au prix du sacrifice des autres,
ça ne nous choque pas plus que ça :
ça s’appelle le pragmatisme.
Pourtant, si nous voulons bien examiner les choses sans
préjugés, justement, nous constaterons que les principes de la justice ne se
laissent pas dériver si facilement des considérations sur la nature humaine. Ou
plutôt que ces considération nourrissent un peu n’importe quoi, et pas
seulement l’impératif catégorique de Kant.
Tant et si bien que John Rawls a cru nécessaire de faire
appel à son célèbre voile d’ignorance pour expliquer comment on va opter pour
l’égalité des droits et imposer la considération de l’utilité sociale des
individus (2). Moyennant quoi, on doit être non pas juste, mais équitable. Si
comme le dit Descartes on était sûr de détenir l’homme dont le talent est
absolument utile aux autres, il faudrait lui faire un pont d’or pour garder ses
services, quitte à appauvrir tous les autres.
Mais comme nous vivons dans un monde en perpétuel
changement, en mutations constantes, nous ne savons ni quelles qualités, ni
quel savoir sera utile et avantageux dans l’avenir.
Par exemple, nous sommes sous le voile d’ignorance
aujourd’hui même quand à l’éducation qui sera avantageuse pour nos enfants,
parce que nous ne savons pas dans quel monde ils vont évoluer.
Et donc l’égalité pour tous, nous la voulons d’abord pour
nous-mêmes.
C’est exactement ce que dit Rosny.
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(1) John Rawls (1921-2002) a soutenu que les principes de la
justice doivent être choisis derrière un « voile d'ignorance », c'est-à-dire
sans que personne ne connaisse ni sa place dans la société, ni ses talents ni
sa conception du bien.
On peut aussi lire ça.
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