Dieu a rendu le travail et le repos, comme le jour et la
nuit, alternatifs pour l'homme: la rosée du sommeil, tombant à propos avec sa
douce et assoupissante pesanteur, abaisse nos paupières.
Milton
– Le Paradis perdu (1667)
L’homme doit être occupé de telle manière qu’il soit rempli
par le but qu’il a devant les yeux, si bien qu’il ne se sente plus lui-même et
que le meilleur repos soit pour lui celui qui suit le travail.
Emmanuel
KANT, Réflexions sur l’éducation, 1776-1786 (Texte à lire ici)
Le poète et le philosophe sont d’accord : celui qui ne
travaille pas n’a aucun droit à se reposer. Aucune allocation ne doit ni ne
peut suppléer à ce défaut, et le chômeur est considéré comme étant en activité
tant la recherche de travail suffit à remplir son emploi du temps (nos
candidats à la Présidence le disent : que le chômeur qui ne recherche pas
de travail soit privé de ses allocations et devienne chômeur du chômage…)
On comprend que le repos soit entendu comme quelque chose
qui dépasse le simple délassement du corps, la simple réparation des fatigues,
car tout dépend de la nature des fatigues en question : il y a le bon
repos qui succède aux fatigues du travail, et puis l’autre, celui qui délasse
le corps fourbu par des activités de loisir. Courir un marathon ou s’épuiser sur
un dancefloor, cela fatigue énormément, mais cela ne donnera pas la
satisfaction du sommeil après une journée de travail. Ainsi, la psychologie du
travailleur est-elle un état d’équilibre, oscillant entre fatigue et repos, et
nulle inquiétude, nul remord, nulle angoisse ne vient perturber le sommeil.
L’homme laborieux est aussi un homme bienheureux, car ses malheurs ne viennent
pas de lui.
D’ailleurs les adeptes de l’allocation universelle prennent
appui sur ce bonheur pour dire que l’allocation en question ne supprimera pas
le travail, puisque celui-ci sera toujours recherché et pratiqué pour cet état bienheureux
qu’il procure. Du coup, l’aversion pour le travail devient une énigme que ne
peut résoudre que la théorie de l’aliénation : c’est parce qu’il est
dépossédé de son travail que l’homme est
également dépossédé de lui-même. Entendez « dépossédé de son
travail » non comme signifiant qu’il en est dépourvu, mais bien qu’il ne
peut décider de son contenu et de sa réalisation, qui appartient à son employeur,
l’entrepreneur capitaliste.
« Il (le
travailleur) n’est lui-même qu’en dehors du travail et ne travaille pas par désir mais uniquement par contrainte pour satisfaire ses besoins extérieurs au
travail. La preuve, c’est que dès que la contrainte disparaît, le travail est
fuit comme la peste. Le travail n’est donc plus le travail de l’ouvrier mais
d’un autre et donc l’ouvrier dans son travail ne s’appartient plus lui-même. »
écrit Marx dans le Manuscrit de 1844 (lire ici).
Du coup, pour le travailleur aliéné même le repos est
aliéné : il est celui de l’animal sans conscience qui doit récupérer
pendant la nuit pour recommencer à labourer tout le jour.
Le sommeil du prolétaire est loin de tomber sur ses paupières comme une rosée…
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