Ah ! le portrait, le portrait avec la pensée, l’âme du
modèle […]
Exprimer la pensée par le rayonnement d’un ton clair sur un
fond sombre.
Exprimer l’espérance par quelque étoile. L’ardeur d’un être
par un rayonnement de soleil couchant. Ce n’est certes pas là du trompe-l’œil
réaliste, mais n’est-ce pas une chose réellement existante ?
Lettre
de Vincent Van Gogh à son frère Théo - 3 septembre 1888
Van
Gogh – L’arlésienne (1888)
C’est vrai, l’Arlésienne renverse l’ordre des
« valeurs », puisqu’il ne s’agit pas d’un ton clair rayonnant sur un
fond sombre, mais à l’inverse de noir sur fond jaune ; mais l’écart de
brillance est là, le noir éclate par contraste avec le jaune.
Mais au fond, qu’importe le quel soit le fond, le quel soit
le motif ? Ce qui nous importe,
c’est plutôt de saisir ce qui, dans ce portrait, exprime la pensée du modèle.
Le peintre a choisi son instant : celui où la femme, levant les yeux de
son livre, interrompt sa lecture et paraît songeuse. A ce moment, son regard
flotte dans le vague mais on devine que ce qu’il perçoit ce n’est pas ce qui
existe devant elle, mais bien ce que son imagination lui dépeint.
Alors nous ne saurons jamais à quoi pensait
l’Arlésienne : et après tout, qu’importe ? Ne suffit-il pas que nous
sachions qu’il y a quelque chose à voir qui n’existerait pas sans la pensée,
sans l’imagination, sans … l’espérance ?
À l’époque de van Gogh, le développement de la photographie
asphyxiait certains peintres spécialisés dans les portraits. Voyez, disait-on,
à quelle exactitude la photographie parvient ! L’objectif de l’appareil
photographique est infiniment plus précis et plus fidèle que l’œil du
peintre !
Hé bien, c’est peut-être vrai : mais où est le
photographe qui saura saisir cet instant d’ouverture sur la vie
intérieure ? Depuis, quelques grands photographes l’ont fait, hissant du
même coup la photo au niveau de l’art. Mais qu’on ne dise plus que la photo
c’est plus facile que la peinture !
No comments:
Post a Comment