Ecrire, c'est tenter de savoir ce qu'on écrirait si on
écrivait - on le sait qu'après - avant, c'est la question la plus dangereuse
que l'on puisse se poser. Mais c'est la plus courante aussi. L'écrit ça arrive
comme le vent, c'est nu, c'est de l'encre, c'est l'écrit et ça passe comme rien
d'autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie.
Marguerite
Duras
Il arrive qu’on aime un livre, un texte parce qu’il dit
quelque chose qu’on pense, quelque chose né dans une sphère très intime de
notre âme, et qui est resté là, bien au chaud, comme ignorant la réalité et le
monde extérieur. Et voilà que, tout à coup, il nous saute à la figure comme ça,
sans crier « Gare ! », et alors on aime ce livre pardessus tout
– ou bien on le jette avec dépit et on crie « Au voleur ! »
comme si on nous avait dépossédé de quelque chose de précieux.
Je disais récemment à une amie : « Je n’écris pas pour être lu (encore que ce
soit un vrai plaisir) ; j’écris pour savoir ce que j’ai à dire ».
Alors, je n’aime pas me répéter, parce que justement je sais
déjà ce que je vais dire, mais quand même repasser de l’encre fraiche sur de
l’encre sèche, c’est une façon de la renforcer.
Ce que Marguerite Duras évoque très fortement, c’est
l’imprévu de la création. Le fait est que ces mots, ces phrases arrivent comme
ça, venus sans qu’on sache d’où – oui, mais ces mots-là c’est comme la encontre
de l’amour : on ne les connaît pas encore, mais on sait tout de suite que
ce sont ceux-là qu’on attendait. On se doute alors que créer c’est se mettre en
situation, ouvert à l’inflexion de ces pensées qui s’invitent sans qu’on les
ait appelées.
Là où je me sépare de la pensée de Marguerite Duras, c’est
lorsqu’elle dit que l’écrit, ça passe, sans doute bousculé par d’autres écrits.
Chez moi, l’écrit ne passe pas : il s’incruste et devient un objet de
recherche et de réflexion qui va appeler de nouvelles pensées, à moins que ça
reste comme ça, simple objet sur le quel travailler, refaire et parfois
détruire.
Ecoutez
Boileau – il disait bien :
Avant donc que
d’écrire apprenez à penser.
Selon que notre idée
est plus ou moins obscure,
L’expression la suit,
ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit
bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le
dire arrivent aisément.
L’art poétique – Chant I
Mais il
ajoutait :
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre
courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre
ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
L’art poétique – Chant I
(Lire ici le
poème de Boileau)
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