Les hommes veulent être esclaves quelque part, et puiser là de quoi dominer ailleurs.
La Bruyère – Les Caractères
Ici et ailleurs 2 –
L’idée qui se fait jour ici est que l’esclavage est tout à fait supportable dès lors qu’il est compensé par ailleurs.
Puisque nous avons abondamment cité La Fontaine je ne citerai pas aujourd’hui sa fable Le loup et le chien, mais on se rappelle que le chien y affirme sans détour qu’il est effectivement enchaîné, mais que la pitance qu’on lui donne le dédommage largement. Voilà une bonne raison de critiquer nos systèmes de soumission, qui, de la famille à l’école, et de l’entreprise qui nous emploie jusqu’à l’église où nous confessons nos péchés, règlent notre vie, la formatent et l’embastillent. Tout ce que nous pouvons espérer c’est que la chaîne qui nous attache soit la plus longue possible (1).
Il y a deux voies pour discuter cette formule : l’une qui serait de se demander s’il y a un dédommagement possible à la privation de liberté ; mais cette voie a été parcourue ici même plus d’une fois en suivant J.J. Rousseau (2).
L’autre qui serait de remonter un peu plus haut et de se demander à partir de quand on peut parler d’esclavage.
Il y a aussi deux conceptions de l’esclavage : l’une qui est économique, l’autre qui est morale. Sur l’économique, on a vite fait de dire avec Spinoza que l’esclave est celui qui n’est jamais utile à lui-même, mais seulement à son maître (3). Il est clair que seuls les esclaves « réels » sont dans ce cas, tous les travailleurs même exploités ont au moins un petit avantage qui leur est consenti.
Et puis il y a les esclaves « moraux » : j’entends pas là tous ceux qui ont abdiqué leur pouvoir de décision, qui ont renoncé à leur responsabilité et qui se laissent conduire par la main comme les petits enfants. De Kant à Tocqueville (4) beaucoup de moralistes y ont vu un subterfuge de l'Etat pour récupérer le pouvoir perdu du fait de la démocratie.
Heureusement, nous avons le néo-libéralisme pour nous éviter ce défaut.
(1) Ceci pour reprendre la formule de Cavanna.
(2) A vrai dire je n’ai pas retrouvé le Post où j’aurais décrit la pensée de Rousseau sur ce point. On se reportera donc au Contrat social I, 4 et si on n’a pas le temps on pourra lire au moins cet extrait.
(3) Spinoza, Traité théologico-politique voir ici.
(4) Encore un extrait de texte ? En voici deux pour le même prix : Kant ici – Tocqueville là
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