Sunday, March 21, 2010

Citation du 22 mars 2010

Hyppolite – Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.

Jean Racine – Phèdre (Acte I, scène 1)

La fuite – 2

Qu’on ne s’y trompe pas : Hyppolite fuit non pas Phèdre, mais Aricie dont les « innocents appâts » commencent à l’émoustiller, ce qui est bien embêtant vu qu’elle est issue d’un clan ennemi. Mais Racine n’écrit pas ici un remake de Roméo et Juliette. Il s’agit de passions, de haine et d’amour.

Pour limiter mon propos, je retiens cette affirmation qui pourrait sembler curieuse : dans la haine, on ne fuit pas. Ce qui ne signifie pas essentiellement qu’on refuse de fuir l’affrontement ; c’est la présence de l’être haï qu’on ne fuit pas ; c’est peut-être même cette présence qu’on recherche.

Il m’est arrivé de penser qu’il y avait une sorte d’abnégation dans la haine : on recherche l’autre haï, pour mieux le combattre. C’est un peu comme ça qu’on imagine les nazis affrontant malgré leur répugnance ceux qu’ils ont considérés comme des sous-hommes – par abnégation, pour en délivrer l’humanité.

Et si ce n’était pas ça ? Si la haine était une délectation ? Si, tout comme l’amour, il y avait un bonheur à haïr ? On aurait d’autant plus de jouissance que l’objet de notre détestation serait plus proche de nous (1)? Et pour cela, pas question de le détruire, il faudrait le cultiver, l’aider à vivre, pour le haïr plus longtemps.

Voilà qui paraît troublant. Mais parlerions-nous de la haine si ceux qui connaissent cette aversion se contentaient de fuir l’objet détesté à l’autre bout de la terre ? Non, n’est-ce pas. La haine est un sentiment qui s’éveille au contact de l’autre et qui nous incite à le rechercher.

Peut-on expliquer ce paradoxe ? La haine n’est pas seulement un sentiment ; elle est aussi une passion et comme toute passion, elle vise une jouissance. Seulement, la jouissance n’est pas uniquement liée à la souffrance infligée à autrui. Elle est dans toute la préparation qui y mène.

Si on poursuit la comparaison avec l’amour, la haine n’est pas seulement dans la jouissance orgasmique qui consisterait à assassiner notre ennemi ; elle est aussi dans les préliminaires.

Je suppose que je n’ai pas besoin de vous faire un dessin…


(1) C’est un peu la situation que Sartre avait imaginée dans Huis-clos, mais pour lui c’était l’opposé du bonheur, puisque l’enfer, c’est les autres.


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