Je voudrais, moi aussi, tout comprendre et tout sentir. Mais, pauvre escargot que je suis, l'horizon infini, que je ne touche pas, blesse mes cornes
Jules Renard – Journal, 1898, p. 485
Disproportion 2
Après l’homme qui se prenait pour un ver de terre (amoureux d’une étoile), voilà Jules Renard qui se prend pour un escargot …
Bizarre manie, n’est-ce pas ? Sauf que cet escargot là, il est un peu spécial : il tend ses cornes vers l’horizon infini. C’est curieux. Mais ce n’est pas tout : lorsqu’il se tend ainsi, cet infini qu’il ne touche pas, blesse ses cornes.
Un petit cours d’anatomie de l’escargot s’impose : l’escargot a l’estomac dans les pieds (1) ; il a un pénis et un vagin dans le cou. Et – surtout – il a des yeux au bout des cornes.
--> Notre auteur se sent donc blessé par la vue de ce qu’il en peut pas toucher.
Soyons sérieux, s’il vous plait. La puissance des images vient souvent du contraste qu’elles illustrent et que la réalité n’exhibe pas facilement.
L’image que nous proposons aujourd’hui est à double détente :
- d’une part, la disproportion de l’homme face à l’infini – thème pascalien, déjà illustré par le ver de terre de Victor Hugo.
- Et d’autre part voici que cet infini, bien qu’inaccessible, blesse nos yeux (= les cornes de l’escargot, promptes à se rétracter à la moindre souffrance).
Je suppose qu’on peut traduire cette citation de Jules Renard en décalant un peu son propos : l’« horizon infini » n’est pas à l’horizontal mais à la verticale. C’est l’horizon non pas terrestre mais céleste L’infini du ciel, je le vois et en même temps je ne le vois pas. Les cornes de l’escargot, si elles se replient de souffrance, c’est qu’elles ne peuvent toucher le ciel, trop loin, trop profond. Car, alors que j’imagine la distance du soleil par rapport à moi (2), le ciel limpide s’affiche comme une profondeur sans distance : je sais que je ne le toucherai pas en tendant la main ; et je sais aussi qu’en moi existe le désir de me l’approprier ne fut-ce que par l’imagination. Le rêve de vol participe de cela.
Mais hélas je ne suis qu’un pauvre escargot…
(1) Ça se discute me direz-vous ? Bon… Mais alors, dites-moi pourquoi on l’appelle un « gastéropode ».
(2) Quoique de façon erronée comme le montre Spinoza (cf. ici)
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