Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un
morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui.
Sacha Guitry –
Toutes Réflexions faites
Je ne cite pas trop souvent Sacha Guitry parce qu’il est
difficile de trouver une citation de lui où l’enflure prétentieuse de son style
ne vienne pas tout gâcher.
Paradoxe : j’en propose une qui, outre ce défaut, a en
plus celui d’enfoncer une porte ouverte. Car il est évident que le silence en
musique est de la musique (1), et que la dernière note jouée n’achève pas
l’œuvre définitivement. Il y a un certain silence qui la suit, silence qui
appartient justement à l’œuvre, qu’elle soit de Mozart, de Wagner, de Schönberg
– ou de qui on voudra.
D’ailleurs on reconnait le manque de culture musicale
d’un public à la précipitation de ses applaudissements : oublions les cas
désastreux où il a applaudi avant la fin de l’œuvre – la honte ! Mais il y
a aussi les cas où le public applaudit à peine la dernière note a-t-elle
retenti. Dans ce cas on peut être sûr qu’il s’agit de gens qui sont restés
extérieurs à la musique et qui applaudissent comme pressés de partir. (2)
Sur ce silence final de l’œuvre, on pourrait aussi
évoquer celui du chef d’orchestre. Il s’agit de l’instant qui précède juste son
premier mouvement, celui qui marque son retour dans la réalité environnante, et
que les caméras indiscrètes captent parfois, nous montrant un homme encore
entièrement dans la tension de l’œuvre, pas encore affaissé par la détente
musculaire, pas encore à se tourner vers le public pour recueillir ses
applaudissements. Cet instant est de la musique transformée en affect et c’est
un instant plus ou moins long selon les chefs (on se souvient que Karajan
mettait un certain temps pour sortir de l’envoutement où il était plongé).
Bref : voilà ce qu’on gagne à être dans une salle de
concert et non dans son salon à coté de ses baffles – ou dans le bus avec son
MP3 : interpréter le silence final de l’œuvre.
Même les gens comme moi qui ne savent jouer d’aucun
instrument savent encore jouer du silence.
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(1) Je laisse de côté le cas du jazz.
(2) Je laisse de côté le cas des ouvertures brillantes
qui excitent tellement les centres nerveux que les applaudissements explosent
dès la dernière note envoyée, un peu comme on lâche les chiens de meute. On
échappe de peu à la standing ovation.
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