L'âme humaine est comme l'abeille qui puise son miel même
de l'amertume des fleurs.
Henryk Sienkiewicz –
Sans dogme (1891)
Métaphore de l’abeille.
On attribue aux abeilles toutes sortes de vertus, comme ici
de transmuter l’amertume en sucre.
Belle histoire mais qui est fausse et surtout qui nous
fait perdre de vue l’essentiel : les fleurs fabriquent du nectar qui ne
leur sert à rien (directement), mais qui attire les abeilles, qui vont les
féconder. Les abeilles fécondent les fleurs en y pénétrant ce qui ne leur sert à rien non plus sauf
qu’elles font cela pour récolter le nectar (1).
--> La métaphore utile est donc celle-ci : les
échanges doivent être gagnant-gagnant et pour cela il faut accepter de faire aussi
ce qui ne nous est pas directement utile. On ne peut tout gagner et ne jamais
rien perdre, et l’art de la négociation doit forcément intégrer ce paramètre.
On voit qu’il s’agit d’une situation qui fait la part
belle à la théorie des jeux – sauf que contrairement au postulat de la théorie
des jeux (2), ni la fleur, ni l’abeille ne calculent leur profit. Et pourtant
ça marche : la fleur en fabriquant le nectar produit ce qui ne lui sert à
rien dans le processus de reproduction – du moins directement : le nectar
n’est pas une étamine, et il n’est pas non plus un pistil. Mais comme tout
cela ne fonctionne qu’à condition d’être
fécondé, alors il faut bien que quelqu’un s’en charge, et c’est l’abeille qui
va faire le petit facteur en portant le pollen mâle dans le pistil femelle.
D’où le profit de la plante : c’est une partie de billard à trois bandes. Et
c’est le même schéma qui explique comment l’abeille, en butinant pour son
propre bénéfice, fournit à la fleur ce qu’elle attendait.
La métaphore de Sienkiewicz bien qu’elle soit en toute
rigueur fausse n’en n’est pas moins riche d’une intuition importante : le
miel est un produit que la fleur ne contenait pas, qui est élaboré par
l’abeille au cours d’un processus fait d’ingurgitation et de régurgitation
successifs, afin de le mêler à des sucs digestifs variés.
… Reste que si mon âme doit faire la même chose pour
transfigurer ses états d’amertume en pensées lumineuses, moi j’hésite. Rien
qu’à savoir ce que l’abeille doit faire pour fabriquer du miel, je sens que mes
tartines de miel ne passent pas.
-----------------------------------
(1) Bien sûr, c’est la même chose qui se passe pour la
sexualité humaine.
(2) « La théorie des jeux est un ensemble
d'outils pour analyser les situations dans lesquelles ce qu'il est optimal de
faire pour un agent (personne physique, entreprise, animal, ...) dépend des
anticipations qu'il forme sur ce qu'un ou plusieurs autres agents vont
faire » Wikipédia
No comments:
Post a Comment