Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Elle
périt par un usage prolongé. Non par usure : par accident. C’est-à-dire,
si l’on préfère, par usure de ses chances de survie.
Francis Ponge – La
cruche (Pièces, p 94-96)
Tant va la cruche à
l’eau qu’à la fin elle se casse… Quand on n’est pas capable de faire
meilleur commentaire que celui-ci, on se contente de le recopier – d’autant qu’on
peut lire ici le poème d’où il est extrait.
Mais, ne désespérons pas : certes, je ne saurais pas
faire mieux pour le commentaire, mais je pourrais au moins faire état des
pensées qu’il suscite :
- Notons d’abord que la cruche peut être inusable, mais qu’elle
n’est pas indestructible.
Il en va donc ainsi également de nous : supposez qu’on
ait trouvé le moyen de nous conserver une éternelle jeunesse. Par exemple, par
une reprogrammation génétique – un auto-clonage ou quelque chose comme ça – on
retrouverait à volonté nos 20 ans. Serions-nous pour autant immortels ?
D’une certaine façon, oui ; car la maladie
ou l’usure de l’âge n’auraient pas de prise sur nous ; mais on
pourrait néanmoins périr par accident sur la route – un crash, la tête arrachée
ou la poitrine enfoncée – ou alors par meurtre prémédité – une rafale de
kalachnikov (1).
- L’essentiel maintenant. La pensée que nous propose
Ponge consiste à dire : puisqu’inévitablement même ce qui est inusable
finira par être détruit, alors il y a quand même une usure : celle des chances de survie.
Mais alors, ce principe peut aussi être appliqué dès
maintenant à nous tous, nous dont l’espérance de vie s’allonge
spectaculairement. Statistiquement, vous risquez d’avantage de périr dans un
accident ou assassiné par un malfrat si vous vivez 90 ans au lieu de 50. Et ça,
on n’y peut rien parce qu’on n’a pas encore trouvé le moyen d’éliminer les
aléas de l’existence.
Et c’est tant mieux !
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(1) Occasion de rappeler que le legs le plus évident et
le plus durable de l’Union soviétique au monde est la kalachnikov. Je sais bien
que ça n’a rien à voir avec mon propos, mais ça me fait plaisir.
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