Le verbe
aimer est difficile à conjuguer : son passé n'est pas simple, son présent n'est
qu'indicatif, et son futur est toujours conditionnel.
Jean Cocteau
Jolie
citation, n’est-ce pas : un peu d’esprit ne fait jamais de mal – mais
l’essentiel est ailleurs. Cocteau nous dit que l’amour fou, celui qui nait
d’une étincelle dans le regard, celui qui fusionne deux êtres dans un même
instant, celui qui nous donne une expérience de l’éternité – oui, cet amour-là
n’existe pas, même dans le serment murmuré à l’oreille :
« Réfléchissez
bien nous dit-il et vous verrez que le doute est installé là dedans depuis
toujours, parce que vous avez dès le départ eu une autre expérience amoureuse,
une expérience cachée sous l’autre, faite de doutes et d’incertitudes, de
failles et de strates contradictoires. »
Peut-on
réconcilier ces deux expériences – je veux dire celle de l’amour monobloc et
celle de l’amour-histoire construite à grand coup de je t’aime / je te quitte suivis de je ne peux vivre sans toi ? Car après tout, beaucoup reconnaîtront
qu’ils ont vécu ces deux phases presque simultanément, chacune recouvrant
l’autre selon l’humeur du moment.
Paradoxe ?
Peut-être. Reste que l’avertissement de Cocteau souligne un fait
irréfutable : dans l’amour l’instant présent contient une intuition de
passé et de l’avenir. Non pas une analyse, qui relie entre elles des étapes
successives, mais bel et bien une représentation solidaire d’états qui
fusionnent entre eux et qui nous livrent une expérience qui n’a pas forcément
de rapport avec ce qu’on sait du passé ni avec ce qu’on attend de l’avenir.
Illusion face
à réalisme ? L’amour entraine-t-il une sorte de schizophrénie, une double
expérience à la fois d’une force qui nous pousse et d’autre part d’une
expérience désabusée qui nous murmure « tu sais bien comment tout ça va
finir »… Une illusion, est selon Kant
« le leurre qui persiste même quand
on sait que l’objet supposé n’existe pas. ». Ça serait donc ça, l’amour ? Une illusion
persistante ?
Une
preuve ? Voyez l’amoureux passionné qui découvre avec horreur que sa
bien-aimée l’a quitté, qu’elle a choisi de vivre sans lui : il ne peut y
croire et lorsqu’il se tourne vers vous, c’est pour obtenir que vous le
confirmiez dans sa folie « Oui, elle t’aime quand même, un amour tel que
le vôtre, ça ne peut pas mourir ».
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