Si je mourais
là-bas sur le front de l'armée tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée, et
puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt un obus éclatant sur le front de
l'armée, un bel obus semblable aux mimosas en fleur.
Guillaume Apollinaire – Poèmes à Lou, Si
je mourais là-bas (1915)
Si c'est mon
triste lot / De faire un trou dans l'eau, / Racontez à la belle / Que je suis
mort fidèle, / Et qu'ell' daigne à son tour / Attendre quelques jours / Pour
filer de nouvell's amours.
Georges Brassens – Je rejoindrai ma belle
Imaginer
qu’on assiste à sa propre mort ainsi qu’à son enterrement et aux jours qui
suivent : c’est un rêve un peu morbide mais fréquent ; mais en fait,
c’est un rêve qui reflète plus la réalité qu’autre chose.
Car aussi bien
Apollinaire que Brassens, en espérant être pleurés par leur bien-aimée, expriment en réalité leur désir d’être aimé dès
maintenant – et aussi, il est vrai, la certitude que le désir est par
nature volage et que, dès que le corps de l’amant disparait, il s’envole vers d’autres cieux.
Et puis plus
généralement, ce qui se révèle, c’est le désir de rester dans la mémoire des
survivants. Attendre quelques jours / Pour
filer de nouvell's amours … Vœu sans illusion, mais qui pourrait bien être
déjà excessif : en tout cas, on sait en lisant les lettres d’Apollinaire
que la belle et vénale Lou avait déjà oublié son poète bien avant qu’il fut
cruellement blessé.
Mais qu’y
pouvons-nous ? Le désir de survivre à sa propre mort dans la mémoire
des vivants est sans doute universel, en témoigne le culte des ancêtres
institué dès l’Antiquité pour célébrer ceux qui furent et ne sont plus.
D’ailleurs comme on le sait, les grecs considéraient que la véritable
immortalité réside dans la renommée et non dans la survie de l’âme dont on
admet qu’elle soit, mais qu’en même temps elle constitue une
« survie » pitoyable.
Aujourd’hui
cette problématique est renouvelée avec l’incinération comme pratique courante.
Que faire des cendres ? Les mettre dans une petite boite logée dans une
niche de columbarium ? Ou bien répandre les cendres au gré du vent ?
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