Il me paraît que l’âme, quand elle pense, ne fait pas autre
chose que s’entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et
niant.
Platon
– Théétète – 263e
Pour néant pense, qui ne contre-pense
Proverbe
(XVe siècle)
A la demande « Qu’est-ce que la
philosophie ? » la réponse la plus simple est « La philosophie
enseigne l’art de contre-penser ». Autrement dit, même si cet art suppose
la maitrise des concepts et de leur construction (Deleuze) ; ou bien
encore la connaissance de l’histoire de la philosophie de Platon à nos jours,
il n’en reste pas moins qu’il faut systématiquement argumenter– y compris
contre sa propre opinion, ce qu’on appelle ici « contre-penser ».
« Contre-penser » : mais encore ?
Bien sûr l’opposition d’opinion à opinion ne sert pas à
grand chose : une opinion « pour » plus une opinion
« contre », cela peut ne faire, comme nous l’enseignent les débats
politiques, qu’un misérable affrontement où les propos orduriers et les
affirmations de mauvaise foi sont la règle. Une opinion + une autre opinion, ça
ne fait jamais rien de valable. Il faut retourner à Platon et comprendre que,
pour se dégager de l’opinion et cheminer vers le savoir, il est indispensable
de prendre le chemin de la dialectique entendue comme dialogue de l’âme avec elle-même.
Entendons-nous bien : « opinion » évoque
l’idée d’un jugement porté avec certitude sans que des bases rigoureuses soient
évoquées (définition ici). L’opinion ne sera (peut-être) un savoir que quand cette base sera
établie ; et en attendant elle constitue non pas le terme de la
connaissance, mais son point de départ.
Du temps où, enseignant à mes jeunes élèves l’art de la
pensée philosophique, je leur disais : « Pour néant pense qui ne
contre-pense » ils étaient
outrés : « Mais alors, disaient-ils, nous devons nous obliger à dire
le contraire de ce que nous pensons ? Mais c’est idiot !». A
quoi je répondais que ce qui leur était demandé, c’est de prouver que leur
pensée était juste pour les autres et que par conséquent il fallait qu’ils le
démontrent déjà pour eux mêmes.
Carr ici, comme dans tous les domaines où la preuve
scientifique n’existe pas, détenir la vérité signifie ne pas risquer d’être réfuté.
Alors, bien sûr les sophistes de l’antiquité s’étaient fait une spécialité de
la réfutation, et on peut en avoir une idée dans les débats d’opinion évoqués
ci-dessus. Mais enfin la simple honnêteté consiste à se demander « Pourquoi est-ce que je pense que ceci est vrai ? » Et si la réponse est :
« Parce que ça me fait plaisir » ; ou bien : « Parce
que celui qui m’a dit ça est quelqu’un que j’aime et que j’admire » ;
ou encore : « Parce que c’est juste le contraire de ce que pensent
mes ennemis » ; alors là oui, il faut contre-penser, juste pour voir
ce que ça donne.
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