Le danger dans le passé était que les hommes deviennent des
esclaves. Le danger dans le futur est qu'ils deviennent des robots.
Erich
Fromm (psychanalyste américain 1900-1980)
« Une machine dicte aux préparateurs de commandes l'allée
où il doit se rendre pour prendre la marchandise, puis le nombre de colis qu'il
a à porter. Ce dernier répond «ok» lorsqu'il a fini de charger. Les salariés
naviguent ainsi sept heures par jour dans l'entrepôt et ne peuvent prononcer
que 47 mots, ceux compris par la machine. A la pause, des employés racontent
être obsédés par cette voix métallique et disent avoir l'impression de devenir
des robots. »
à
propos de Lidl
du
27 septembre 2017 sur France 2
Oui, le risque autrefois imaginé de voir les robots
supplanter les hommes en faisant les mêmes choses qu’eux – mais en mieux – est resté
lettre morte. Non pas que l’intelligence artificielle soit restée dans les
cartons, mais bien parce qu’on doit observer que ce n’est pas elle qui
représente actuellement le plus grand danger pour les hommes. Ce qui nous fait
trembler à présent, c’est que les hommes au travail deviennent des machines
parce qu’ils sont contraints de travailler comme des machines. On connaissait
depuis longtemps les cadences infernales infligées aux ouvriers par les
machines-outils dont ils devaient alimenter l’insatiable appétit. Aujourd’hui, chez
Lidl ces mêmes machines ne prennent pas la place des ouvriers ; par contre
elles prennent la place du contremaitre.
Ce qui glace le sang à la lecture de ce reportage, ce n’est
pas seulement que l’opérateur en soit réduit à recevoir les ordres de la
machine, mais qu’il soit contraint de ne parler qu’à elle seule – car on le
suppose, pas de temps pour échanger quelques mots, quelques vannes avec les
collègues. Chacun a son écouteur enfoncé dans le conduit auditif, un micro à
proximité des lèvres et son corps n’est plus que le véhicule de ses bras et de
ses jambes pour exécuter la tâche demandée (1). On ne peut obéir à une machine
qu’en devenant à son tour une machine et quand bien même elle aurait un
vocabulaire un peu plus développé, sa logique serait toujours la même.
C’est ici qu’on peut corriger le sentiment primitivement
ressenti : car ce n’est pas tant des robots qu’il faut avoir peur ; c’est
de la logique de l’entreprise, celle qui n’a certes pas attendu la robotique pour
sévir, qui a reconnu dans l’esclavage une forme idéale, qu’elle n’a de cesse
d’imiter aujourd’hui.
Oui, c’est toujours la même logique : – Tu n’es là que pour faire ton travail, et
tout le reste doit rester à la porte de l’usine. Et oui, voilà aussi ce qui
fait vraiment peur : c’est quand l’opérateur (ou l’ouvrier comme on voudra
l’appeler) n’existera dans l’entreprise que comme un outil qui n’existe que
comme effectuateur (sic ?) de la tâche qui lui est dévolue.
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(1) A mon avis, si les opérateurs sont maintenus, c’est
parce que, pour le moment, ils coûtent moins cher que les machines.
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