Sunday, September 03, 2017

Citation du 4 septembre 2017

Le moment où je parle est déjà loin de moi.
Boileau – Epitre III. (1)
Cette sentence interroge dès qu’on la lit : car comment y réfléchir s’il est vrai que je suis, à ce moment, déjà parti loin d’elle ? L’instant d’avant je ne la connaissais même pas ; et puis, l’instant d’après – hop ! je suis déjà ailleurs. Comment faire pour réfléchir ? Revenir ? Boucler la pensée sur elle-même pour capturer l’instant de la découverte, le faire coïncider avec celui de l’analyse ?
Déjà, clarifions : selon cette idée, le présent n’existe pas, il serait juste le point de passage entre le passé et l’avenir, punctiforme et instantané, sorte d’inflexion marquant le passage entre ce-qui-n’est-plus et ce-qui-n’est-pas-encore. Le présent n’aurait donc pas de durée, le passé et l’avenir n’étant que des reconstructions faites par l’esprit humain qui, en collationnant des instants sans durée ferait fabriquerait du passé, et qui fabriquerait le futur en imaginant des moments qui, lorsqu’ils arriveront dans le présent, seront atomisés en poussière d’instants,

On connaît la critique de saint Augustin (2) : la simple expérience vécue du temps impose silence à cette analyse, et Boileau ne l’intègre que pour mieux en tirer le contraire : au lieu de nous en détourner comme de quelque chose d’inessentiel par sa brièveté, vivons l’instant pleinement car il nous fuit sans qu’on puisse le retenir.  Mais la critique ne désarme pas l’analyse, car on voudrait bien savoir quelle est la nature véritable du temps : du côté de l’instant réel mais inexistant ? Ou bien de la durée observable mais subjective ?
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(1) Passage cité : « Avant qu'à nos erreurs le ciel nous abandonne, / Profitons de l'instant que de grâce il nous donne, / Hâtons-nous ; le temps fuit, et nous traîne avec soi, / Le moment où je parle est déjà loin de moi. » - A lire ici
(2) Saint Augustin – Les confessions, livre XI, chapitre 10 (passage cité ici)

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