Les hommes sont comme les lapins, ils s’attrapent par les oreilles.
Mirabeau
Pour éviter toute équivoque, je préviens que je ne parle pas aux malotrus qui imaginent qu’on attrape les hommes par une autre excroissance de leur anatomie : nous qui sommes poètes et philosophes, nous resterons entre nous.
Dirons-nous que l’originalité de ce qui passe par les oreilles, c’est d’atteindre - comme le fait par exemple la parole - aussi bien l’intellect que l’affectif ? Sans doute, mais ce n’est pas là l’essentiel : supposez qu’au lieu de lire mon texte vous m’entendiez le lire : y aurait-il une différence pour votre intellect ? En tout cas elle devrait être très faible, limitée à l’impact de la présence de la voix qui faciliterait ou au contraire disperserait l’attention. Bref : tout ce qui passe par les oreilles mais qui pourrait aussi bien passer par les yeux ne nous intéresse pas.
Ce qui compte c’est donc le pouvoir exercé par certains sons sur les centres cérébraux concernant les émotions. La musique est la première concernée, et on sait que Platon la considérait comme un élément clé de l’éducation des citoyens parce qu’elle gouverne l’affectivité et donc l’action. C’est d’ailleurs pour la même raison qu’il voulait instituer une censure sur la musique.
Un pouvoir encore plus grand est celui de la voix : certaines voix sont irritantes (1) ; d’autres subjuguent ou charment. Les grands comédiens et plus encore les tragédiens ont ce pouvoir : qu’on se rappelle de Delphine Seyrig, qu’on pense à Fanny Ardent, ou à Philippe Noiret (je suis sûr que vous avez une liste bien plus longue que cela).
Mais l’erreur serait de séparer la musique et la voix. C’est ici le lieu de dire que le langage humain est fait de sonorités dont la signification excède leur rôle discriminant dans un système phonologique donné. Si les voix dont nous avons parlé ne sont pas celles de chanteurs, il n’en reste pas moins qu’elles font chanter la parole à travers les sonorités de la langue; si d’aventure il s’agit d’une langue étrangère que vous ne comprenez pas, vous ressentirez cette séduction sans l’attribuer aux significations. Je ne dis pas qu’il n’y a pas une perte véritable ; je dis qu’il reste quelque chose, et qu’une page de Nietzsche - ou de Goethe évidemment - lue par une belle voix, alors que vous ne comprenez pas l’allemand, ce n’est pas rien.
(1) Il est remarquable que les concours de recrutement des enseignants ne comporte pas une épreuve orale d’oral : parmi tous ceux qui sont reçus, il y en a qui ont une voix à faire fuir même les corbeaux. Plaignez les pauvres élèves qui les subissent !
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