Qualité, lumière, couleur, profondeur, qui sont là-bas, devant nous, n’y sont que parce qu’elles éveillent un écho dans notre corps, parce qu’il leur fait un accueil .
Merleau-Ponty - L’œil et l’esprit ch. 2
Nous savions déjà que, pour qu’un paysage existe, il lui fallait un spectateur. Mais on devrait dire la même chose du visible en général : point de visage, point d’objet, point d’attention à la tâche manuelle, sans cette connivence intime qui nous relie à ce que nous voyons. Le monde vu, dit Merleau-Ponty, est l’équivalent interne du monde visible. Qui dira dans quel espace se déploie le paysage peint du tableau ?
Merleau-Ponty conteste ainsi l’espace analytique tel que Descartes l’a conçu dans sa Dioptrique. Voici le texte de Descartes (ch.6) :
« Comme, lorsque l’aveugle, … tourne sa main A vers E, ou C aussi vers E, les nerfs insérés en cette main causent un certain changement en son cerveau qui donne moyen à son âme de connaître, non seulement le lieu A ou C, mais aussi tous les autres qui sont en la ligne droite AE ou CE, en sorte qu’elle peut porter son attention jusques aux objets B et D, et déterminer les lieux où ils sont, sans connaître pour cela ni penser aucunement à ceux où sont ses deux mains. Et ainsi, lorsque notre œil ou notre tête se tournent vers quelque côté, notre âme en est avertie par le changement que les nerfs insérés dans les muscles, qui servent à ces mouvements, causent en notre cerveau. »
L’aveugle a remplacé ses yeux par ses mains, et les rayons de lumière sont devenus des bâtons. La vue résulte normalement de l’entrecroisement de 2 rayons lumineux issus de deux points différents et frappant les 2 yeux en même temps. On a compris que l’aveugle « voit » lorsqu’il « perçoit » par ses mains ou ses bras l’angle formé par les deux bâtons, substituts des rayons lumineux. L’espace de Descartes est celui du géomètre ; la vision est remplacée par l’analyse des propriétés de l’espace, l’étendue de notre monde est devenu un espace euclidien. Dans sa Lettre sur les aveugles, Diderot décrit le cas de Saunderson, professeur de géométrie anglais complètement aveugle, ce qui ne l’empêchait pas de l’enseigner.
L’espace du géomètre est un espace strictement intellectuel : il n’y a pas de place pour un paysage là-dedans.
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