Saturday, August 11, 2007

Citation du 12 août 2007

« La machine d'arithmétique fait des effets qui approchent plus de la pensée que tout ce que font les animaux ; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonté, comme les animaux. »

Blaise PASCAL Pensées - N° 627 (Le Guern)

Ci-contre : Machine arithmétique de Pascal à six chiffres : la Pascaline

(Source : Conservatoire des Arts et Métiers à Paris)

La machine qui deviendrait humaine, voilà la peur qui nous hante depuis que la machine existe, tout comme la peur de l’animal qui deviendrait humain.

La machine pense-t-elle ?

Il est intéressant de saisir cette peur au plus proche de la nôtre aujourd’hui, et pourtant encore loin dans le passé : la peur de la machine qui pense est éprouvée déjà lors de l’invention de la machine à calculer de Pascal en 1642.

Il peut nous sembler risible de s’interroger sur un tel empiètement à propos de la « Pascaline » faite de bois et de cuivre et qui ne dépasse pas les 4 opérations : la calculette que n’importe quel écolier a dans sa trousse en fait beaucoup plus. Mais il faut comprendre que, pour la première fois, en 1642, on voyait une machine faire une opération abstraite, que seul le cerveau humain était jusqu’alors capable de faire - même si les opération arithmétique ne demandent aucun discernement particulier et sont donc parfaitement mécanisables. A noter d’ailleurs que Pascal n’entre pas sur ce terrain : pour lui, la différence entre l’homme et l’animal, ce n’est pas l’intellect, c’est la volonté (1). Preuve s’il en fallait que Pascal était un moraliste…

Les artilleurs ont l’habitude de régler leurs tirs par essais successifs : un coup trop court, puis un coup trop long, avant d’arriver à la bonne hausse. Pour la Pascaline, c’était un coup trop court : on était encore loin de voir la machine menacer notre privilège d’être pensant : la conscience.

La machine peut-elle accéder à la conscience ?

Maintenant, il y a le coup trop long : on le trouve dans 2001, Odyssée de l’espace de Kubrick. C’est Hal, l’ordinateur de bord de Discovery, dont l’image se résume à cet œil énigmatique (« électronique » ?).

Œil=regard=conscience. Façon de dire je suppose que la conscience est le facteur humain par excellence, celui qui signerait l’accession de la machine à l’humanité. C’est le coup trop long pour les philosophes qui considèrent que rien dans la matière même vivante ne peut préfigurer la conscience humaine, de telle sorte qu’on ne peut imaginer un singe évolué qui y accèderait par perfectionnement de ce qu’il est aujourd’hui. C’est aussi le point de vue des biologistes qui étudient le fonctionnement cérébral. Ils sont tous - pour le moment - en accord avec Bergson qui disait qu’entre le cerveau et la pensée il y a le même rapport qu’entre le chef d’orchestre et la musique qu’il joue : le chef mime la musique, il ne la fait pas.

Mais vous avez aussi certains informaticiens (2) qui pensent que tout ça n’est qu’une question de puissance. En sorte que le coup juste serait, par exemple, de dire que les systèmes experts et l’intelligence artificielle sont des réalités. Et elles montrent que Hal 9000, c’est pour demain


(1) Gilberte Perrier, sœur de Blaise Pascal, dit que, lors d'une addition, ce n'est pas la machine qui fait œuvre intelligente, c'est l'homme qui fait du travail de machine. Les inventeurs de la cybernétique n’auraient pas dit mieux. (Voir le passionnant article de Jacques Arsac à l'adresse suivante :

www.asmp.fr/travaux/gpw/philosc/rapport3/5arsac.pdf

( à noter une coquille: Arsac écrit à propos de Saussure "diachronique" au lieu de "diacritique")

(2) Là encore, je ne saurais mieux faire que de vous renvoyer à l’article ci-dessus.

2 comments:

Anonymous said...

"C’est le coup trop long pour les philosophes qui considèrent que rien dans la matière même vivante ne peut préfigurer la conscience humaine, de telle sorte qu’on ne peut imaginer un singe évolué qui y accèderait par perfectionnement de ce qu’il est aujourd’hui. C’est aussi le point de vue des biologistes qui étudient le fonctionnement cérébral. Ils sont tous - pour le moment - en accord avec Bergson qui disait qu’entre le cerveau et la pensée il y a le même rapport qu’entre le chef d’orchestre et la musique qu’il joue : le chef mime la musique, il ne la fait pas."
C'est aller un peu vite en besogne. Il existe un certain nombre de philosophes matérialistes qui assimilent totalement pensée et fonctionnement cérébral, et des biologistes comme Changeux ou Edelman s'étrangleraient d'entendre qu'ils pensent comme Bergson...

Jean-Pierre Hamel said...

philosophes matérialistes "s'étrangleraient d'entendre qu'ils pensent comme Bergson."
C'est vrai et d'ailleurs j'ai sans doute voulu parler seulement des philosophes de la conscience (de Husserl à Sartre et Merleau-Ponty).
Merci de me donner l'occasion de rectifier. Par ailleurs le lien avec la conférence de J. Arsac ne marche pas : je corrige dans le texte du post lui-même.