L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature; mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.
Pascal - Pensées (1670), fragments 347 dans l'édition L. Brunschvicg.
Pascal a-t-il raison ? N’avez-vous pas eu, étant jeune, la certitude d’être immortel ?
Nous évoquions récemment le sort de Hal, l’ordinateur robot de 2001 Odyssée de l’espace : doué de conscience, la machine révèle sont « humanité » lorsqu’elle supplie Bowman de l’épargner. Elle est devenue « roseau pensant ».
Laissons là la fable philosophique : elle ne fait que confirmer combien la conscience de sa propre mortalité suffit à distinguer l’humain de l’inhumain. Je taille au plus court en esquivant le débat de savoir si l’animal n’a pas une conscience - même obscure - de sa propre mort (1). Ce qui m’intéresse, c’est la conscience de la mortalité : certes Pascal parle de la mortalité actuelle : « il sait qu'il meurt », mais comment y accèderions-nous si nous n’avions pas la conscience de notre mortalité ? Or ce que je voudrais contester, c’est la réalité de cette conscience.
N’avez-vous pas eu étant jeune la certitude d’être immortel ? Oh, bien sûr, on sait que la maladie, l'accident, une guerre peuvent détruire la vie. Mais rien qui ressemble à cette morbidité qui s'insinue insidieusement dans les articulations, dans les organes, jusqu'à ce que le vieillard en périssant n'ait pratiquement plus rien - peut-être même plus son âme - à perdre.
La perte de l’innocence par la quelle on caractérise souvent le passage de la jeunesse à l’age « adulte » (employons ce terme faute de mieux), ne serait-ce pas ça par hasard ?
Confidences : pour ma part j’ai considéré jusqu’à … disons 25 ans (peut-être plus) que les vieux (> de 50 ans) étaient nés comme ça, que la vieillesse était leur essence immuable. Ce qui signifiait bien sûr que ma jeunesse était aussi une essence immuable. Ma grand-mère me disait : « Va ! ce qui te suit te rattrapera bien un jour ! » ; elle savait de quoi elle parlait.
L’image de l’immortalité est celle d’une éternelle jeunesse (voir Post du 12 octobre 2006) : seuls les dieux peuvent à la fois être vieux et immortels. On perd une part de sa jeunesse quand on perçoit, dans sa chair, les changements de l’âge, quand on cesse d’être immuable.
Alors, certes, la mort des autres est là pour nous rappeler notre condition : Jankélévitch disait que la mort des parents, c’était pour les enfants la découvertes qu’ils étaient les prochains sur la liste, donc qu’il y a une liste et que notre nom est gravé dessus… Mais l’insistance de Pascal à nous rappeler que le divertissement est une corruption de notre nature prouve bien que nous n’y croyons pas vraiment.
Mais après tout, qu’est qui nous prouve que nous sommes vraiment mortels ? (2)
(1) On disait que le cerf, au moment de l’hallali versait des larmes, et Rousseau rappelle que le cheval fait un écart lorsqu’il risquerait de marcher sur un cheval mort.
(2) Re-confidences : a chaque fois que j’ai proposé cette question à mes élèves il y en a eu toujours quelques uns pour me proposer de m’aider à le vérifier sur moi-même. Etait-ce vraiment serviable ?
4 comments:
Bonjour,
J'aime beaucoup la citation de votre grand-mère. A croire que la "philosophie" est héréditaire ;).
A propos de votre deuxième remarque: "sommes nous vraiment mortels", pour ma part, je me poserai plutôt la question "qu'est ce que la mort".
D'après différentes religions, la mort n'est qu'une étape, qui ouvre la porte vers un ailleurs donc dans ce cas là on pourrai dire que la mort consiste à la perte de notre corps, mais pas de notre "âme".
Pour les boudistes, on se réincarne, donc la vie n'est qu'un éternel recommensement (en gros).
Si l'on ne croit en rien, je suppose que la mort représente la fin de tout (corps et âme).
Dans tous les cas, qu'est-ce que la mort? De quoi parle-t-on? Est-ce simplement la perte du corps? La perte de son âme?
Ou plus simplement et surtout plus généralement, la perte de ses amis, de ses proches, de sa famille?
J'ai toujours pensé (ou peut-être que je l'ai lu quelque part il y a très longtemps) que ce qui faisait pleurer les enfants qui se faisaient mal n'était pas la douleur physique mais la conscience soudaine que leur corps n'était ni invulnérable ni éternel.
En tout cas, je ne me souviens pas m'être jamais cru immortel. On peut oublier un temps que l'on va mourir mais il existe tout de même de nombreux signes avant-coureurs, dès l'enfance et jusqu'à la vieillesse, non seulement la mort des proches mais aussi toutes les blessures et maladies, aussi bénignes soient-elles, que nous subissons dans notre chair.
"qu'est ce que la mort ? »
Comme disait Jankélévitch, la mort est « métempirique », c’est-à-dire au-delà de toute expérience possible. Tout ce qu’on en sait est d’ordre logique : la mort, ou elle est, ou elle n’est pas.
Si elle est, elle est anéantissement et alors on ne peut rien en dire, puisque du néant on ne peut rien dire (car on serait obligé de dire « Le néant, c’est… » et donc on lui confèrerait une existence et ce serait contradictoire.
Si elle n’est pas - entendons : malgré les apparences, elle n’est pas anéantissement - alors il faut admettre qu’elle n’est qu’un sas, un passage entre deux états. C’est ce que les religions supposent toutes de façon plus ou moins évidente, qu’on pense aux livres des morts (égyptiens, tibétains), qui sont des guides qui conduisent le « mort » de son état antérieur vers un état postérieur.
Quant à dire qu’elle est la perte des amis etc., cela renvoie à la deuxième supposition puisqu’il faut être pour perdre quelque chose. Peut être faudrait il dire, la mort c’est la perte de l’ami mort ? Peut- être était-ce là le sens de votre remarque ?
il existe tout de même de nombreux signes avant-coureurs, dès l'enfance et jusqu'à la vieillesse, non seulement la mort des proches mais aussi toutes les blessures et maladies, aussi bénignes soient-elles, que nous subissons dans notre chair.
Sans doute avez-vous raison. En fait c’est une rectification à mon point de vue qui en conserve néanmoins un aspect qui me semble important : Pascal semble faire de la conscience de immortalité une intuition fondamentale, quelque chose qui serait inhérent à notre humanité. En réalité, ce qui se dégagerait de nos propos, c’est que cette conscience serait acquise par expérience, et que celle-ci serait liée à la fragilité actuelle de notre corps, et non à une représentation innée.
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