Joseph JOUBERT - Carnets - 1 décembre 1809
Pourquoi parlons-nous ? Si je me permets de revenir une fois de plus sur la question, c’est que la parole est sans doute l’activité qui nous retient le plus de temps au cours de notre vie : la diffusion si exceptionnellement rapide du téléphone cellulaire en serait une preuve s’il en était besoin.
Joubert stigmatise ici un usage inepte de la parole : le bavardage. Je n’ai pas connu de prof qui ne se soit plaint à un moment ou à un autre - voire même : tout le temps - du bavardage de ses élèves. Toutes les pensées des élèves pendant le cours doivent être consacrées au cours. Donc tout ce qu’on peut y dire doit concerner toute la classe, et donc être dit pour elle. Les conversations privées ne sont donc que des bavardages inconsistants.
Passons sur la réalité de ce reproche : après tout rien ne dit que ce qu’on jeune dit à un autre jeune pendant le cours de maths (ou de ce que vous voudrez) ne soit point de la pensée (déjà, il faudrait être Heidegger pour la définir complètement).
Mais il me paraît nécessaire de revenir sur la fonction de la parole : il est clair à mon avis qu’elle ne sert pas seulement à communiquer, que ce soit la pensée ou des informations ou des questions visant à s’informer. Non : la parole a aussi une fonction affective, elle est une façon de rencontrer l’autre, de nouer avec lui un contact, si ténu soit-il. C’est dans cette mesure que la parole est inépuisable, qu’elle ne finira qu’avec nous-mêmes. La parole est un flot ininterrompu, qui comme un fleuve se diversifie en arrivant dans son estuaire, selon les sujets et selon les interlocuteurs. Mais jamais elle ne s’arrête.
C’est ici qu’il faut revenir à Merleau-Ponty : dans le dialogue dit-il se crée une pensée commune qui induit l’expérience d’un être-à-deux, et qui dure ce que dure le dialogue. Certes Merleau-Ponty mettait la barre un peu haute : tout dialogue ne crée pas forcément de la pensée, on vient de le souligner. Mais il avait raison en montrant qu’à la racine du langage on trouve la communion avec autrui (1).
Gare à la pratique solitaire du langage : c’est une perversion !
(1) Chez Merleau-Ponty, il y a une autre forme de communion par le langage, c’est la communion avec le monde. on y reviendra.
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