Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là / Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile ; / Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile ; / Qui pour vous donnera son âme, s'il le faut ; / Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.
Victor Hugo – Ruy Blas (vers 797 – Acte II, scène 2)
Disproportion 1
Le ver de terre amoureux d’une étoile… En dehors de la hardiesse de l’image (qui résulte de son caractère prosaïque dans une époque qui chérissait la préciosité du langage), on reste saisi de sa puissance évocatrice.
Car il ne s’agit pas seulement de la disproportion de taille, un peu comme on le faisait à l’époque de Pascal qui raisonnait sur l’infiniment petit en imaginant ce que les microscopiques cirons pouvaient voir. Il s’agit aussi de la disproportion dans l’ordre de la perfection, et c’est là que la mise en rapport de la terre, lourde et obscure, où gît le misérable ver et le ciel éthéré où scintille l’étoile prend tout son sens.
D’où vient donc la puissance de cette image, sinon de la disproportion ?
On pense généralement que de l’infini on ne peut rien dire : qui pourrait sans blasphème prétendre décrire l’immensité de Dieu ?
Par contre on se sent d’avantage capable de parler de la petitesse de l’homme en face de l’infini. Au lieu de décrire la sublime beauté de la Reine d’Espagne adorée de Ruy Blas, il suffit de dire ce qu’il est, mesuré à cette splendeur.
Si l’absolu nous échappe, alors tâchons de nous rabattre sur le rapport. Faute de décrire l’infini établissons la comparaison entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Que le brillant Ruy Blas puisse devenir un simple ver de terre nous montre la grandeur de la sérénissime altesse.
Autrement dit – et c’est à cela que nous invite cette comparaison : au lieu de nous épuiser à parler stérilement de cet infini que nous n’imaginons même pas, montrons cet infini de grandeur par son effet sur notre propre dignité. L’humilité est la leçon que nous donne la grandeur … des autres.
Qu’on se rappelle aussi que c’était là l’essentiel que Kierkegaard assignait au stade théologique de l’existence. Apprendre à rire de soi devant Dieu, voilà ce qui importe.
1 comment:
nouveau article sur mon blog :) viens faire un petit tour . Merci
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