Les chrétiens ont, les premiers, considéré la vie humaine, et la suite des événements, comme une histoire qui se déroule à partir d'une origine vers une fin, au cours de laquelle l'homme gagne son salut ou mérite son châtiment.
Albert Camus –
L'Homme révolté (1951)
Quand nous entendons dire que notre Civilisation est
« judéo-chrétienne », nous opinons de la tête, souvent sans trop
savoir de quoi on parle. Albert Camus nous éclaire ici sur un aspect essentiel
de la civilisation chrétienne : délaissant les mythes, elle institue une
histoire des hommes.
Quelques commentaires :
1 – Le Christianisme implique la foi dans la possibilité
de faire quelque chose de notre existence, d’user de notre liberté pour
atteindre un objectif qui n’est pas fixé par un destin. Nous ferons notre
salut, à condition de l’avoir choisi et d’avoir voulu le mériter.
--> Telle est la rupture qui nous sépare des civilisations
antiques (finalement de toutes celles qui sont en dehors de la sphère
judéo-chrétienne) : nous ne croyons pas au Destin, ni à la fatalité, comme
par exemple la Malédiction des Atrides. Agamemnon, Iphigénie, etc… n’ont fait
qu’obéir – souvent sans le savoir – aux Dieux qui les ont manipulés comme des
marionnettes. Leur liberté n’était qu’une illusion et leur pouvoir consistait à
avancer sans le savoir, sans le vouloir, vers leur noir avenir. (1)
2 – On voit combien les doctrines de la prédestination (comme
celle des Jansénistes) sont opposées à cette foi en la liberté des hommes.
Il ne s’agit pas de dire si les Jansénistes avaient
raison ou tort. Il s’agit simplement de noter que la liberté des hommes pour
mériter leur salut est un point crucial dans la constitution de la religion
chrétienne, et que revenir en arrière consiste à revenir à la fatalité antique,
où nous serions tous coupables simplement d’être nés, où notre salut dépendrait
d’un décret divin.
3 – Réciproquement, il y a des formes de matérialisme qui
sont fortement imprégnées de christianisme : il s’agit de toutes les
doctrines qui font de l’histoire de l’humanité un processus continu qui
n’avance pas sans nous et où chacun apporte sa pierre à un édifice qui est
encore à ce jour inachevé mais dont on peut deviner les contours. Telle est la
société sans classe, ou la société sans Etat, ou le triomphe de la Raison, etc…
4 – Si cet héritage est religieux, comment l’athée
pourrait-il le rejeter – puisque l’on voit que nier Dieu ne suffit pas,
celui-ci renaissant de l’histoire ou de l’Humanité ?
On ne s’en sortira qu’à condition de nier qu’une « Mission historique»
puisse exister ; on peut aussi estimer que notre existence individuelle en
s’éteignant n’a rien fait gagner ni rien perdre à l’Humanité, et que du coup, notre
vie durant nous n’avons eu de comptes à rendre à personne de nos choix
éthiques.
C’est cela le dernier pas que même Sartre n’a pas voulu
franchir.
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(1) On dira que le péché originel est beaucoup plus du
côté du mythe : comme le héros tragique, l’homme hérite d’une faute qu’il
n’a pas commise, mais dont il est entièrement responsable. Toutefois la
possibilité de faire son salut permet à l’histoire de prolonger le mythe en le
modifiant. Tel est l’effet du sacrifice christique.
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