Il (François Ier) laissa en instruction et en pratique à ses successeurs, de ne requérir plus le consentement des peuples, pour obtenir des secours et des assistances d'eux, ainsi de les ordonner de pleine puissance et autorité royale, sans alléguer autre cause ny raison, que celles de tel est nostre bon plaisir.
Sully – Mémoires
(Suite du Post du 23 août)
Revenons un instant sur cette instruction laissée par
François 1er à ses successeurs. Si la souveraineté ne se divise pas,
elle n’a pas non plus à justifier ses décrets. Penser en effet qu’elle ait à se
justifier, ou à s’expliquer, supposerait un juge, un censeur qui aurait le
droit de demander ces explications ou justifications. Du coup ledit censeur pourrait
censurer la Loi dès lors qu’il l’estimerait injustifiée (1) : il
disposerait alors de la véritable souveraineté – qui échapperait alors au pouvoir
officiel. C’est d’ailleurs ce qui se passe avec le Conseil constitutionnel, qui
a le pouvoir d’invalider la loi dès lors qu’il l’estime contraire à la Constitution.
Laissons de côté cela qui est bien connu, et revenons à
François 1er. Puisque ne pas justifier sa décision paraît tout de
même un peu délicat, alors justifions-la par notre bon plaisir.
Ne pas dire : « je décrète ceci ou cela parce
que c’est bon pour la France ou pour le Peuple ou encore que c’est un ordre de
Dieu » ; mais dire : « telle est ma décision, parce que tel
est mon bon plaisir ».
On voit bien que nos démocraties sont aux prises avec la
contestation des justifications alléguées. Ecoutez la rue en colère : « la
France a besoin de moins d’impôts et vous, Président, vous en levez de nouveaux » ;
ou encore : « Dieu commande à l’homme de s’unir à la femme et vous
légitimez le mariage homosexuel qu’abomine Notre-Seigneur » – etc…
Bref : il y aurait toujours la possibilité de remonter
en amont pour critiquer les origines de la décision – ou de descendre en aval
pour en démontrer la nocivité. Mais la décision prise au nom de plaisir n’a pas
d’autre cause ni autre effet que lui : il est par essence injustifiable et il
ne sert de rien de dire pourquoi il est ou il n’est pas.
Si nous prenons l’exemple de nos petits plaisirs du
quotidien, nous voyons que rien ne peut les expliquer : pourquoi ça me
fait plaisir de manger des épinards alors que pour d’autres ça parait
détestable ? Pourquoi ai-je du plaisir à écouter un opéra de Wagner alors
que d’autres considèrent ça comme un somnifère ? Personne ne me demandera
de justifier mon plaisir : le plaisir est cause première, et c’est pour ça
qu’il peut s’appliquer à la décision souveraine.
Et de même si on en considère les effets : quand je
cherche le plaisir, je ne considère pas ses effets secondaires. Ainsi, le
plaisir que j’éprouve à m’envoyer des verres de rosé à l’ombre du parasol n’est
aucunement diminué par le fait qu’il fasse des trous dans mon estomac (2). La
seule justification du plaisir c’est son existence. Et il n’existe que dans
l’instant où il s’éprouve
Il y a donc dans le plaisir une véritable expérience
philosophique : la cause première, celle qui s’auto-engendre, nous parait
bien mystérieuse appliquée à Dieu. Par contre à tout moment elle nous apparait
dans l’expérience du plaisir.
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(1) Que l’on pense aux remontrances du Parlement de Paris
à l’époque de Turgot.
(2) Bien entendu, il se peut que j’adopte le point de vue
de mon estomac. Mais alors je
quitte le point de vue du plaisir pour me soucier de la santé de mon corps et nous ne sommes plus dans la même logique.
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