Sunday, January 04, 2015

Citation du 5 janvier 2014

Nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d'animaux les plus méprisés et des cadavres.
(Aristote, Poétique, IV, 1148b.)

Paul Mc Carthy – Complex Shit (haut de 50 pieds)

Déchet I
Qu’est-ce qu’une image ? Aristote répond : ce qui nous rend supportable ce qu’on ne supporterait pas de voir dans la réalité. Et il explique : l’image c’est une représentation : entendez une re-présentation, c’est à dire une seconde présentation.
Qu’est-ce que possède cette seconde présentation que la première n’avait pas ? Elle est porteuse d’un savoir : celui qui a présidé à son choix et à sa mise en valeur ; or, dit Aristote, ce que les hommes aiment pardessus tout, c’est la connaissance : l’image qui assouvit cette tendance est aimée pour cela. Ajoutons aussi qu’on aime l’image qu’on a choisie et créée parce qu’on s’y reconnaît un peu soi-même.
o-o-o
Ainsi Paul Mc Carthy, avec son œuvre Complex shit, nous présente une « merde » (sauf votre respect) qui est un peu différente de la « merde » réelle : elle est en plastique – donc  inodore – et surtout elle fait 50 pieds de haut (= 16 mètres).
Au lieu de hausser les épaules et de grommeler « N’importe quoi ! » tentez plutôt de prendre au sérieux ce principe aristotélicien. Un merde de 16 mètres de haut, désodorisée et – on peut l’imaginer – désinfectée. Qu’est-ce que ça vous dit ? Pas grand chose ? Regardez mieux l’image : là-bas, dans le lointain. Des tours, des gratte-ciels. Nous sommes à Hongkong et l’énormité des buildings, la densité humaine, sont une évidence. Que font tous ces gens entassés ainsi ? Allez-y, n’hésitez pas : ils évacuent, ils exonèrent, ils défèquent – bref : ils crottent.
Seulement voilà : nous vivons dans un monde où ce genre de chose doit être exclu, caché, ignoré ; nous sommes dans le déni de l’ordure.

Ça ne vous dit rien ça? Eh oui! Sous nos pieds, dans nos égouts, roulent des fleuves de merdes qui vont se jeter dans la mer. Mais la mer va dans, un Tsunami final, nous les renvoyer sur la tête et nous noyer dedans – nous et nos gratte-ciels


Je sais : je deviens un peu trop lyrique. Que voulez-vous: c’est l’œuvre de Mc Carthy qui me porte.

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