Tel a esté miraculeux au monde, auquel sa femme et son
valet n'ont rien veu seulement de remercable. Peu d'hommes ont esté admirez par
leurs domestiques.
Montaigne – Essais
III, 2 (lire ici)
De nombreux commentaires de ce passage des Essais témoignent qu’ils ont été écrits
par des gens qui ne l’avaient pas lu : aussi je vous invite à le faire,
afin de ne pas me croire sur parole quand je vous dis qu’il s’agit d’un éloge
de la transparence.
Tout comme Rousseau qui faisait de celle-ci la condition
de l’accès à une plus haute moralité, Montaigne voudrait qu’on abatte les murs
qui cachent les maisons (1) pour livrer au regard public l’intimité de ses
habitants ; et en effet, pour qu’on mettre dans sa vie l’ordre qu’on met
dans ses affaires, il est bon que nos actions privées soient contrôlées par le
regard publique. Les domestiques sont dans la vie courante ceux qui ont justement
un « regard public » sur la vie privée de leur maitre. C’est à eux qu’il
faut donc se montrer avec dignité jusque dans… « dans l’usage de la chaise
percée », diront les esprits malavisés...
Mais non… Il n’y a bien entendu, ni dignité ni indignité
à accomplir les fonctions organiques que nous avons en commun avec les animaux.
Mais que le Grand seigneur qui se montre inflexible et arrogant dans la vie
publique, soit concupiscent quand il se fait habiller pour se rendre chez sa
maitresse, ou bien qu’il gémisse lamentablement parce qu’il a mal à une
dent : voilà en quoi il n’est pas admirable pour son domestique. (2)
Paraphrasons Rousseau maintenant : se montrer à son
domestique tel qu’on est, est la condition pour devenir un jour ce qu’on doit
être.
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(1) Voici le texte de Montaigne : Et fut une digne parole de Julius Drusus,
aux ouvriers qui luy offroient pour trois mille escus, mettre sa maison en tel
poinct, que ses voysins n'y auroient plus la veuë qu'ils y avoient : Je vous en
donneray, dit-il, six mille, et faictes que chacun y voye de toutes parts.
(2) Je me suis laissé dire que l’éducation du jeune
aristocrate consistait autrefois à ne jamais se plaindre, et qu’à cette
occasion on lui racontait comme un exemple l’histoire de l’enfant spartiate qui
se laisse dévorer l’abdomen sans rien dire pour ne pas laisser voir qu’il avait
dérobé un petit renard qu’il cachait dans son giron.
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