Tuesday, January 08, 2013

Citation du 9 janvier 2013



II faut que, loin de m'oublier,  / Il m'écrive avec allégresse, / Ou sur le dos de son greffier,  / Ou sur le cul de sa maîtresse. / Ah ! Datez du cul de Manon ; / C’est de là qu’il faut m’écrire ; / C’est le vrai trépied d’Apollon,  / Plein du beau feu qui vous inspire. / Ecrivez donc en vers badins ; / Mais, en commençant votre épître, / La plume échappe de vos mains, / Et vous f… votre pupitre.



Dans le courrier de Voltaire, le cul de Manon est un support, qui se présente comme alternative au dos du greffier ; il est simplement ce qu’on a « sous la main » quand le besoin d’écrire se fait sentir.
Quoi de plus banal ? Quand on a besoin d’écrire, on prend effectivement ce qu’on trouve, ou le dos d’un ami, ou le cul de sa maitresse, comme le confirme ce plan des Liaisons dangereuses filmé par Stephen Frears.
                                                          John Malkovich et Laura Benson dans les Liaisons dangereuses

Seulement, Voltaire faisant mine de s’emballer au point de ne pouvoir contrôler sa plume, va jusqu’au bout de l’image : voilà que l’écritoire redevient un cul : sa fonction érotique va pouvoir se déployer à nouveau – entravant du coup la rédaction de la lettre….
Quant à nous, maitrisant un peu mieux la situation, nous demanderons quel courrier une telle situation peut bien inspirer ?
Dans le film de Frears, ce courrier est – si je me rappelle bien – l’occasion d’une machination destinés à séduire une innocente jeune fille, quitte à la détruire de chagrin – qu’importe du moment que le libertin y trouve une occasion pour son plaisir : les malheurs infligés à ceux qui en sont victimes comptent pour peu de chose.
Mais revenons à Voltaire : selon lui, l’écriture serait inspirée par le lieu d’où l’on écrit. Que l’on écrive du Cul de Manon, et voici des pensées allègres et bouillantes qui se répandent par la plume. Ecrivons à plat ventre sur la mousse des bois, et voici que naissent des poèmes pleins de clochettes parfumées et de petits lapins. Ecrivons, comme Sartre, depuis le café de Flore : et voici des propos pleins de la vie des hommes du boulevard et des femmes parfumées qui hantent ces lieux.
Je ne multiplierai pas oiseusement cette énumération : on a compris que ceux qui veulent écrire depuis leur bureau, volets tirés et lumière électrique allumée toute la journée sont des gens dont l’écriture risque de sentir le renfermé

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