Pourquoi est-il
permis aux pères et aux maîtres d’école de fouetter les enfants et les
châtier étant en colère ? Ce n’est plus correction, c’est vengeance. Le
châtiment tient lieu de médecine aux enfants : et souffririons-nous un médecin
qui fût animé et courroucé contre son patient ?
Montaigne (Livre II,
XXXI)
Il y eut une polémique, il y a quelque temps à propos de l’interdiction
de la fessée infligée aux enfants – y compris par leurs parents.
On verra dans le texte de Montaigne cité en annexe que la violence à
l’encontre des enfants pouvait aller beaucoup plus loin qu’à notre époque, les
petits finissant par en être estropiés.
Devant une situation concrète il y a deux façons de
s’interroger : l’une consiste à demander comment ça peut changer les
choses ; l’autre demandant pourquoi ceux qui font cela agissent ainsi.
Ainsi de la fessée : elle est supposée faire évoluer
les enfants en les guérissant de leur indiscipline (« ce châtiment tient lieu de médecine aux enfants ») ; mais
elle est aussi considérée comme un exutoire au courroux des parents-fesseurs (« c’est vengeance »). Et bien
entendu, Montaigne conclue que le châtiment infligé aux enfants sous le coup de
la colère ne peut en tout état de cause avoir aucun effet bénéfique sur leur
éducation.
Ce qu’on peut relever dans le texte de Montaigne (cité en
annexe), c’est qu’il n’est nul besoin de faire, à propos du châtiment, la
balance entre la colère qu’il soulage et ses effets éventuellement bénéfiques :
car il n’est passion qui ébranle tant la
sincérité des jugements que la colère. Ainsi est-il invraisemblable que ce
soit à juste titre qu’un père batte son
enfant sous le coup de la colère.
Bien sûr, selon Montaigne on peut corriger de sang-froid
un enfant (comme Henri IV fouettant le petit Louis (futur Louis XIII) le soir
bien après qu’il eut désobéi à sa nourrice) : dans ce cas, le châtiment
peut avoir une vertu éducative. Mais la colère en vicie systématiquement les
effets en le dénaturant : car il ne s’agit plus que de se venger d’un
affront.
On peut généraliser cette conclusion, car on retrouve la
nécessaire mise à l’écart de la vengeance dans l’évaluation de la punition. À
telle faute, telle sanction ; mais à tel affront, quelle sanction ?
Quand donc sera-t-on suffisamment vengé ? Je connais des gens qui pensent
que la guillotine est bien trop douce pour des criminels abominables parce
qu’elle inflige une mort rapide et indolore. Et encore, ces gens n’ont-ils pas le feu et la rage qui sortent de leurs yeux
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Annexe :
« Il n'est
passion qui esbranle tant la sincerité des jugements, que la cholere. Aucun ne
feroit doubte de punir de mort, le juge, qui par cholere auroit condamné son
criminel : pourquoy est-il non plus permis aux peres, et aux pedantes, de
fouetter les enfans, et les chastier estans en cholere ? Ce n'est plus
correction, c'est vengeance : Le chastiement tient lieu de medecine aux enfans
; et souffririons nous un medecin, qui fust animé et courroucé contre son
patient ?
Nous mesmes, pour
bien faire, ne devrions jamais mettre la main sur noz serviteurs, tandis que la
cholere nous dure : Pendant que le pouls nous bat, et que nous sentons de
l'esmotion, remettons la partie : les choses nous sembleront à la verité
autres, quand nous serons r'accoisez et refroidis. C'est la passion qui
commande lors, c'est la passion qui parle, ce n'est pas nous.
Au travers d'elle,
les fautes nous apparoissent plus grandes, comme les corps au travers d'un
brouillas : Celuy qui a faim, use de viande, mais celuy qui veut user de
chastiement, n'en doit avoir faim ny soif.
Et puis, les
chastiemens, qui se font avec poix et discretion, se reçoivent bien mieux, et
avec plus de fruit, de celuy qui les souffre. Autrement, il ne pense pas avoir
esté justement condamné, par un homme agité d'ire et de furie : et allegue pour
sa justification, les mouvements extraordinaires de son maistre, l'inflammation
de son visage, les sermens inusitez, et cette sienne inquietude, et
precipitation temeraire. »
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