Saturday, May 30, 2015

Citation du 31 mai 2015

Une fuite, la vie dans les bois? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donnent à l'élan vital.
Sylvain Tesson – Dans les forêts de Sibérie

On peut considérer la fuite de deux façons : en la définissant comme ce qui met à l’abri d’une situation inquiétante ; ou bien comme ce qui nous ouvre l’avenir. On fuit en regardant soit vers l’arrière, soit vers l’avant.
Selon Sylvain Tesson ce qui importe, ce n’est pas la direction du regard de celui qui fuit, mais la force qui le pousse. Ici, cette force s’appelle élan vital, terme hérité de Bergson chez qui il incarne « un processus créateur et imprévisible qui organise les corps qu'il traverse ». Spontanéité créatrice, cet élan est contrarié par la nécessité de la matière… et par la pesanteur de l’habitude. On devine qu’ici il conceptualise les forces de la Nature dont regorge la Sibérie. C’est à ce moment-là que la vie dans une cabane au fond des bois prend son sens. Il ne s’agit pas du tout de s’écarter des  humains dont on redouterait la compagnie (style Alceste au Désert) ; il ne s’agit pas exclusivement de vivre avec d’autres besoins et d’autres moyens (comme le faisait Thoreau). Il s’agit de s’ouvrir à l’élan vital, ou plutôt de ne pas lui résister.

Faut-il donc suivre l’exemple de Tesson et « fuir » en Sibérie pour vivre au fond des bois ? Question artificielle puisque nous – pauvres de nous ! – n’avons pas de cabane sur le lac Baïkal ; nous ne sommes pas non plus des trappeurs sibériens (1) ; comment allons nous faire pour que l’élan vital puisse nous traverser ?
Sylvain Tesson d’un même geste abolit l’habitude de l’homme civilisé en même temps qu’il s’ouvre aux forces naturelles qui l’environnent de toute part. Quant à nous, pour nous engager dans le même processus, nous devons nous lancer dans une direction où l’habitude n’existe pas, là où elle n’a aucune emprise sur nous. Et du coup il faut que ce soit une activité où souffle pas nécessairement l’esprit, mais la force créatrice. Créatrice de quoi ? De vie, bien sûr. Mais aussi de réalité – de cette réalité qui ne peut exister qu’à condition que ce soit la première fois.
J’en vois au moins deux : l’amour et l’art.
Voilà de quoi nous occuper sans partir à l’autre bout de la planète pour vivre au fond des bois.
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(1) Allusion à Dersou Ouzala, le film de Kurosawa.

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