Une fuite, la vie dans les bois? La fuite est le nom que les
gens ensablés dans les fondrières de l'habitude donnent à l'élan vital.
Sylvain
Tesson – Dans les forêts de Sibérie
On peut considérer la fuite de deux façons : en la définissant
comme ce qui met à l’abri d’une situation inquiétante ; ou bien comme ce
qui nous ouvre l’avenir. On fuit en regardant soit vers l’arrière, soit vers
l’avant.
Selon Sylvain Tesson ce qui importe, ce n’est pas la
direction du regard de celui qui fuit, mais la force qui le pousse. Ici, cette
force s’appelle élan vital, terme
hérité de Bergson chez qui il incarne « un processus créateur et
imprévisible qui organise les corps qu'il traverse ». Spontanéité
créatrice, cet élan est contrarié par la nécessité de la matière… et par la
pesanteur de l’habitude. On devine qu’ici il conceptualise les forces de la
Nature dont regorge la Sibérie. C’est à ce moment-là que la vie dans une cabane
au fond des bois prend son sens. Il ne s’agit pas du tout de s’écarter des humains dont on redouterait la compagnie
(style Alceste au Désert) ; il ne s’agit pas exclusivement de vivre avec
d’autres besoins et d’autres moyens (comme le faisait Thoreau). Il s’agit de
s’ouvrir à l’élan vital, ou plutôt de ne pas lui résister.
Faut-il donc suivre l’exemple de Tesson et
« fuir » en Sibérie pour vivre au fond des bois ? Question
artificielle puisque nous – pauvres de nous ! – n’avons pas de cabane sur
le lac Baïkal ; nous ne sommes pas non plus des trappeurs sibériens
(1) ; comment allons nous faire pour que l’élan vital puisse nous
traverser ?
Sylvain Tesson d’un même geste abolit l’habitude de l’homme
civilisé en même temps qu’il s’ouvre aux forces naturelles qui l’environnent de
toute part. Quant à nous, pour nous engager dans le même processus, nous devons
nous lancer dans une direction où l’habitude n’existe pas, là où elle n’a
aucune emprise sur nous. Et du coup il faut que ce soit une activité où souffle
pas nécessairement l’esprit, mais la force créatrice. Créatrice de quoi ?
De vie, bien sûr. Mais aussi de réalité – de cette réalité qui ne peut exister
qu’à condition que ce soit la première fois.
J’en vois au moins deux : l’amour et l’art.
Voilà de quoi nous occuper sans partir à l’autre bout de la
planète pour vivre au fond des bois.
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(1) Allusion à Dersou Ouzala, le film de Kurosawa.
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