Wednesday, February 22, 2006

Citation du 23 février 2006

« Le châtiment, a ceci de commun avec le pardon qu'il tente de mettre un terme à une chose qui, sans intervention, pourrait continuer indéfiniment. »

Hannah Arendt

Etrange de voir ainsi le pardon aligné sur ce qui semble être son contraire : le châtiment.
Etrange mais pas étonnant ; si vous ne tranchez pas la tête du coupable, alors un jour ou l’autre, il faudra accepter de lui pardonner, c’est-à-dire de vivre à ses côtés (à moins de réactiver le bannissement comme du temps de Cayenne). C’est cela qu’on s’efforce d’oublier, et c’est cela qui nourrit le fantasme d’une peine de mort systématique.

Car le pardon, en dehors de ses dimensions morales et religieuses, qui certes peuvent seules le justifier, a une signification très prosaïque : si nous voulons vivre ensemble, alors il faut faire abstraction de la faute dont nous avons été victime. Abstraction et pas oubli : il serait immoral d’oublier le crime, car ce serait oublier la valeur qui s’est trouvée niée à cette occasion.

Donc : est-il possible que le châtiment débouche sur le pardon ? Non pas qu’on pardonne à celui qui a simplement « payé sa dette » ; mais bien que le châtiment soit solidaire du pardon. Lévi-Strauss en donne un exemple dans Tristes Tropiques à propos d’un peuple Améridien. Lorsqu’un membre de la tribu a commis un crime, on y traite le criminel de la façon suivante : la communauté détruit tous les biens du coupable, sa tente, ses armes, ses vêtements, etc., de telle sorte que sa survie devienne impossible ; puis la même communauté lui donne l’équivalent de ce qui vient de lui être pris, de telle sorte qu’il doive sa survie à ses compagnons. Le message est clair : « Nous continuerons à vivre ensemble, mais sache que c’est parce que nous l’avons voulu ; il ne tenait qu’à nous de te laisser mourir de faim et de froid». C’est là que le châtiment s’aligne sur le pardon.

A comparer, chez nous, avec le prisonnier qui sort de sa prison mais qui aux yeux de tous reste à jamais un paria : ce qui « pourrait continuer indéfiniment ».

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