Je veux t'aimer comme l'on aime / Du printemps le premier beau jour. » Les natures simples ont le privilèges d'être émues par de semblables inepties.
Alexandre Pothey – La fée des mines
C’est fou comme le printemps suscite de platitudes ou d’ineptes enflures pseudo-poétiques.
Notre auteur (1) en épingle une, pas pire que beaucoup d’autres, et – c’est là son originalité – déclare sans ambages qu’en être ému est un privilège.
Car, on pourrait dire : en être ému est un signe, qui veut dire qu’on a une nature simple. Et alors il faudrait presque envier cette simplicité plutôt que de s’en moquer. Après tout qui dit que l’émotion vécue à écouter de pareilles fadaises ne constitue pas un bonheur au moins comparable à beaucoup d’autres ?
On arrive ainsi à une interrogation sur le kitsch, l’art du bonheur comme on l’a dit Abraham Moles : ce qu’on appelle art, c’est ce qui produit ce bonheur-là, cette émotion jugée artistique par ceux qui l’éprouvent.
Regardez un peu : si je dis en effet que « Je veux t'aimer comme l'on aime / Du printemps le premier beau jour » est une ineptie qui signale un individu qui a très mauvais goût, ou bien qui est inculte ; et si vous, vous aimez ces vers, vous me demandez de quelle autorité je me réclame pour porter un tel jugement. Que pourrais-je répondre ? Qui dit que mes émotions à moi, en lisant Baudelaire ou Aragon valent mieux que les vôtres qui vous pâmez à l’écoute de ces vers de mirliton ? Et qui dit que ces illustres auteurs n’ont pas eux-mêmes encensé des œuvres qu’on considère aujourd’hui comme des kitscheries ? Tenez, même dans la musique, même chez les plus grands compositeurs : écoutez les décharges de mousquets dans la bataille de Vitoria de Beethoven, les coups de canon dans l’ouverture 1815 de Tchaïkovski, ce n’est pas kitsch ça ?
Alors comme on n’a pas pu éliminer la jouissance de l’art, on l’a anoblie en la cantonnant dans l’exercice d’une faculté spéciale, que Kant nommait le goût. (2)
Malin, n’est-ce pas ?
(1) Alexandre Pothey : écrivain français 1820-1897. C’est tout ce que je trouve dans sa biographie…
(2) KANT – Critique de la faculté de juger – Analytique du beau. « Le goût est la faculté de juger un objet ou un mode de représentation par la satisfaction ou le déplaisir d’une façon toute désintéressée. On appelle beau l’objet de cette satisfaction. » (§5)
C’est donc un plaisir spécifique car indifférent à la possession ou à la consommation qui est éprouvée au spectacle de la beauté dans l’art, et non l’agrément que produit la sensualité ordinaire qui implique l’un ou l’autre.
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