Il est des cas, oui, il en est, où toute consolation abaisse, où le devoir est de désespérer.
Goethe – Les affinités électives (Folio, p.164)
Il est des cas… où toute consolation abaisse – Sommes-nous en présence d’une proclamation de stoïcisme romantique, du genre de celle de Vigny dans La mort du loup (rappelez-vous votre récitation d’écolier : Gémir, pleurer, prier est également lâche…) ?
Ce serait je crois une erreur de s’en tenir là, car voici la suite : le devoir est de désespérer.
Au fond, c’est là le contenu véritable de notre citation : comme la plus part des philosophes pessimistes, ce que dit Goethe dans ce texte, c’est qu’il faut lutter non pas contre ce monde mauvais, mais contre les dispositifs mis en place pour le cacher.
Des dispositifs comme ceux-là, nous en avons : voyez l’oubli de la mort – contre les quels ont lutté des philosophes comme Heidegger, parce qu’en réalité ils nous font oublier bien plus que ça.
Car il ne s’agit pas simplement de lâcheté :
– Dis moi que la mort ne me concerne pas, ou bien que, parvenu au moment où elle devient inévitable, elle n’est qu’un sommeil, ou qu’un grand voyage.
Ces dispositifs sont autant de moyens de fuir notre réalité, c'est-à-dire de fuir la vie humaine.
Alors, c’est vrai, Goethe ne nous dit pas exactement ça : la lucidité nous appelle au devoir de désespérer.
Qu’est-ce que cet étrange devoir ? Faut-il le prendre au sérieux ? Est-il plus que la simple contrepartie de l’exigence de lucidité dont nous parlions ? Peut-être.
Pour ma part, j’estime que s’il y a du désespoir à constater qu’il n’y a rien au-dessus de l’horizon de l’existence, sans doute y a-t-il de l’espoir à voir qu’il y a quelque chose en dessous.
Le désespoir est peut-être dû à un éblouissement qui nous empêche de voir cet en deçà de la mort, qui se révèle selon Heidegger dans le souci de la vie.
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