Le mouvement de population et de l'émigration est biologique ; nul n'y peut rien. Supposons une infiltration d'étrangers par centaines de mille, et d'étrangers qui restent étrangers, le problème silésien peut se poser en Champagne. Ainsi la guerre se montre, mais elle est moins effet que cause ; c'est parce qu'elle se montrait d'abord que les difficultés s'élèvent. Si les pensées étaient occupées de bonne entente, d'association, d'échanges fructueux, et non point de guerre, le fleuve humain coulerait lentement du continent vers nos rivages, comme il l'a toujours fait, et les Français ne craindraient nullement de devenir Allemands par cette force du nombre, évidemment invincible ; au contraire les immigrants allemands deviendraient Français. La France a toujours dû sa nature propre à de tels mélanges ; et je crois que toujours la géographie vaincra l'histoire.
Alain – Propos, 21 août 1921
Le problème de l’immigration n’est pas dans la venue dans un pays de gens d’origine étrangère – ça existe depuis la nuit des temps, et ça ira jusqu’à la fin des temps. Le problème, c’est qu’ils restent étrangers. C’est donc en terme d’intégration que ça se pose.
Tout ça est trop connu pour qu’on y insiste. Et le Propos d’Alain tient son intérêt d’autre chose. Il est de dire que dans la non-intégration, ce qui prime c’est la volonté de faire pâtir l’étranger, que ce qu’on veut, c’est le maintenir étranger justement pour le lui reprocher et pour avoir l’occasion de lui faire la guerre. Ecrit en 1921, ce Propos est fortement imprégné de la mentalité du l’époque : la haine du Boche. Enlevez la haine, mettez le kurde à la place, et vous aurez quelque chose qui ressemble à notre époque.
S’il fallait une preuve que ce que dit Alain est vrai, pourrions-nous en trouver une plus forte que le cas des Juifs ? Pendant des siècles – voire même un millénaire – ils ont été parqués dans des Ghettos, marqués de l’étoile jaune (qui est bien antérieure aux nazis), privés de droits civiques, obligés de créer leur propre institution – le Consistoire juif – pour avoir une existence publique, cantonnés dans des métiers spécifiques, etc. Faut-il après cela s’étonner qu’ils ne se soient pas intégrés à la population locale, au point qu’on leur ait dénié d’appartenir à celle-ci dans un passé récent et sans doute encore aujourd’hui dans certains pays.
À Apt (Vaucluse) une plaque sur un mur de la vieille ville rappelle qu’au 16ème siècle existait là un ghetto, mais que la population juive n’a pas survécue à la grande peste qui ravagea le pays à l’époque : ils périrent non de la peste, mais d’un pogrom destiné à exterminer ceux qu’on tenait pour responsables de l’épidémie.
Et aujourd’hui encore : on dirait bien, à l’encontre d’Alain que l’histoire a vaincu la géographie.
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