Les mensonges en politique, puisqu’ils sont souvent utilisés comme des substituts de moyens plus violents, peuvent assurément être considérés comme des instruments relativement inoffensifs dans l’arsenal de l’action politique.
Hannah Arndt – La crise de la culture, chapitre VII (Vérité et politique) p. 291 (1)
Le mensonge est à la politique, ce que le Taser est à la police : une arme non létale – une moindre violence.
… Et c’est à nous, nous les enfants des Lumières, nous qui avons appris la démocratie auprès de Condorcet, nous qui avons cru que l’instruction publique en mettant à l’abri de l’ignorance protégeait aussi de la tyrannie, c’est donc à nous qu’on dit ça ?
Notez, si effectivement pour faire de la politique il faut avoir un arsenal de moyens, si la violence est à la base de l’efficacité politique, alors oui, le mensonge est un moyen de gouverner comme un autre, pas plus immoral qu’un autre en tout cas. Sommes-nous complice de ces mensonges, en sommes-nous seulement victimes ? Car après tout, s’ils nous évitent la violence, pourquoi pas ?
En réalité, il y a deux évaluations différentes du mensonge en politique :
- l’une consiste à se placer dans un rapport moyens-fins : si les fins sont bonnes et si les moyens sont efficaces, alors les mensonges peuvent être considérés comme étant bons.
- l’autre considère les valeurs comme intangibles : le mensonge est une injure faite à la personne d’autrui à qui nous avons le devoir de dire la vérité.
La seule question est alors de savoir : qu’est-ce qu’on perd en ignorant la vérité ?
Platon nous dit que les hommes qui sont soumis à leur sensualité préféreront ignorer la vérité si c’est la condition de leur jouissance, comme le pourceau qui gloutonne dans la fange pendant qu’à coté on affûte le couteau pour le saigner. Voyez dans l’Allégorie de la caverne, le sort qui est réservé au philosophe qui redescend dans l’ombre pour révéler la vérité à ses anciens compagnons (2).
Kant ajoutait que c’est à la morale de dire ce que vaut la vérité, et non pas à des individus soumis à leurs appétits sensuels.
Mais il constatait que dans ses rapports à la morale, la politique devra encore pour assez longtemps se passer de des impératifs de celle-ci, du moins tant que la moralité de l’humanité n’aura pas atteint un niveau suffisant (3)
… Séquence nostalgie : Il y a deux ans, oui, deux ans déjà, place de la Concorde, au soir de son élection, Notre-Président s’adressait à tous les français, et d’abord à ceux qui ne l’avaient pas élu. Et voici ce qu’il leur disait : « je ne vous trahirai pas, je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas. » (4). Il parlait du plein emploi et du pouvoir d’achat.
Si nous lui accordons la pureté des intentions, alors sa seule erreur est d’avoir parlé au futur.
Sinon, c’est une faute
(1) Hannah Arendt a écrit aussi un petit ouvrage sur le mensonge et la violence, à propos des mensonges du Pentagone concernant l’efficacité des bombardements sur le Nord Vietnam, ainsi que sur leur innocuité pour les populations civiles. On nous a refait le coup avec les armes de destruction massives de Saddam Hussein, sous le regard étonné du monde entier.
(2) Voici ce que dit Socrate : Et si quelqu'un (= le philosophe) tente de les délier (= ses anciens compagnons toujours prisonniers de la caverne) et de les conduire en haut (=vers la contemplation de la vérité), et qu'ils le puissent tenir en leurs mains et tuer, ne le tueront-ils pas ?
Il est vrai qu’il affirme quelques lignes plus loin que celui qui connaît la vérité n’a surtout pas l’envie de faire de la politique :… ne t'étonne pas que ceux qui se sont élevés à ces hauteurs ne veuillent plus s'occuper des affaires humaines, et que leurs âmes aspirent sans cesse (517d) à demeurer là-haut. Cela est bien naturel si notre allégorie est exacte. C'est, en effet, bien naturel, dit-il.
Mais ça, c’est une autre histoire…
(3) Projet de paix perpétuelle, Appendice I
(4) Voir la vidéo ici, à 4’18’’
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