Wednesday, October 15, 2014

Citation du 16 octobre 2014



Le vrai danger, ce n'est pas quand les ordinateurs penseront comme les hommes, c'est quand les hommes penseront comme les ordinateurs. 
Sydney Harris

Risquons-nous de « penser comme des ordinateurs » ? Qui le dira ? Celui qui sait ce que signifie le verbe « penser » ? Oui, mais voilà : où est-il ce génie de la philosophie, celui qui sait ce que penser veut dire ?
- Arrêtons ce persiflage : sérieusement, pour croire ce qu’écrit Harris, il faut savoir ce que signifie « penser » appliqué à des ordinateurs. Et là, on va immanquablement tomber sur la combinatoire logique : penser c’est calculer, raisonner, c’est évaluer : voir là-dessus l’article de Wiki.
- Oui, mais : le verbe « penser » accolé au sujet « ordinateur » : cela a-t-il un sens ? A côté des rationalistes dont on vient de parler, on va rencontrer les sensualistes, pour qui la pensée résulte de diverses opérations qui n’auraient pas lieu sans la sensation : comme Condillac pour qui penser, c’est sentir :
« … penser, c'est sentir, donner son attention, comparer, juger, réfléchir, imaginer, raisonner, désirer, avoir des passions, espérer, craindre » Condillac – La Logique ou les premiers développements de l'art de penser, 1789
Dans son Traité des sensations, Condillac imagine un automate dépourvu de pensée, mais qui accède peu à peu à cette fonction (1). On imaginerait bien, quant à nous, un ordinateur s’autoprogrammant selon des programmes installés capables de calculer des issues à chaque nouvelle situation (un peu comme Deep-Blue devant un échiquier (2)). Mais Condillac n’a pas du tout cette optique : l’automate en question est une statue installée dans un jardin et qui s’éveille à la vie. Dans ce jardin, sa première sensation est celle du parfum des roses. Cherchant à retrouver cette sensation, la voilà qui part à la recherche des rosiers et qui découvre peu à peu toutes sortes d’autres sensations qui vont l’amener à élaborer une conscience et une pensée. Bref : faisant de la logique et du calcul un élément qui s’élabore peu à peu, un peu au hasard des découvertes du monde sensible, Condillac considère que sans les sensations, rien de notre conscience ni de notre pensée n’existerait.
- Dans cette perspective, faire penser un ordinateur c’est faire penser une machine logique dépourvue de sensations : pour elle pas d’yeux – des caméras ? Oui, mais les caméras ne perçoivent pas. Par exemple, si un logiciel de reconnaissance de visages (et même de sourire !) existe, il n’en n’est pas moins dénué de toute sensibilité. Il « reconnait » un visage sur une photo, comme il reconnaitrait un triangle : par superposition, c’est-à-dire par identité de forme géométrique.
o-o-o
Bref : la question à laquelle on parvient est la suivante : peut-on faire de la pensée sans la sensibilité ?
Dans le film de Kubrick 2001 Odyssée de l’espace, le robot embarqué cherche à détruire les hommes pour prendre le contrôle du vaisseau : une machine d’une complexité inimaginable aujourd’hui pourrait bien faire ça. Mais lorsque Dave, l’homme survivant, désactive le robot-computer, celui-ci  dit « J'ai peur mon esprit s'en va, je le sens » (voir ici). Là est la véritable fiction.
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(1) Le Traité des sensations (1754) est à télécharger ici.
(2) Il s’agit du super ordinateur qui battit Youri Kasparov dans un tournoi resté fameux. Voir ici une savoureuse explication de la défaite de l’homme devant la machine.

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