C'est parce qu'il y a un vrai danger, de vrais échecs, une vraie damnation terrestre, que les mots de victoire, de sagesse ou de joie ont un sens.
Simone
de Beauvoir – Pour une morale de l'ambiguïté
J'entendrai donc par joie … une passion
par laquelle l'âme passe à une perfection plus grande.
Spinoza - Ethique,
III, Proposition XI, Scholie (Lire ici)
Commentaire
II – La joie résulte de l’accès à une plus grande perfection.
Le contraste qui est nécessaire à la
joie (cf. Post d’hier) implique un
dynamisme par lequel l'âme passe à une
perfection plus grande. Du coup, il ne s’agit pas obligatoirement d’un
contraste lié à une représentation « intellectuelle » des maux
auxquels nous avons la chance d’échapper – comme lorsqu’on dit que les
Egyptiens mettaient une tête de mort sur la table du banquet pour que les
convives apprécient d’être encore en vie et se réjouissent de manger les mets
qu’on leur sert.
Reprenons la phrase de Spinoza :
« J'entendrai donc par joie … une passion par laquelle l'âme passe à une
perfection plus grande » (Ethique, III, Proposition XI, Scholie – Lire ici)
La joie n’est pas une représentation,
c’est une passion : on a donc une nouvelle conception de la joie qui
révoque la sagesse comme étant inutile pour être joyeux (1). Inutile de
posséder une science extrême ni une expérience exceptionnelle, puisqu’il suffit
d’être en développement : le nourrisson peut bien être parfaitement
joyeux ; je suppose même que la petite enfance est la période la plus
propice à la joie.
- Oui, mais on m’objectera que la
sagesse reste indispensable pour être heureux. En effet, si le bonheur nous
permet de vivre dans la durée ce que la joie nous fait éprouver dans l’instant,
alors ne faut-il pas une science telle que la sagesse pour qu’on puisse s’établir
durablement dans cet état ?
Cherchons une comparaison : la joie
spinoziste est strictement orgasmique : comme l’orgasme, elle est une
décharge affective, une émotion qui explose et qui n’existe que dans cette explosion ;
pas plus qu’il n’existe de « plateau orgasmique » qui nous assurerait
indéfiniment la jouissance sexuelle, il n’existe de joie durable. La joie est
liée à une circulation de l’énergie, elle ne peut en aucun cas se prolonger,
sauf à être liée à un nouveau sursaut de l’être.
Etre heureux, ce n’est donc pas être
joyeux. D’ailleurs comme on l’a fait observer depuis longtemps, si l’on accepte
la définition spinoziste, les Dieux ne sauraient être joyeux – car pour eux qui
possèdent toutes les perfections, nul perfectionnement n’est concevable.
Pourtant on les nomme les « Bienheureux ».
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(1) On rappellera la thèse qui sert de
fil conducteur à l’un des débats théologiques du Nom de la rose d’Umberto Eco : le Christ riait-il ?
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