On écrit pour ne pas mourir entièrement,
pour ne pas mourir tout de suite puisque tout dépérit. Et je crois que parmi
toutes ces raisons, les deux raisons les plus fortes d'écrire sont bien
celles-ci : faire partager aux autres l'étonnement, l'éblouissement d'exister,
le miracle du monde et faire entendre notre cri d'angoisse à Dieu et aux
hommes, faire savoir que nous avons existé.
Eugène
Ionesco, in Antidotes, 1977 (1)
Laissant de côté l’angoisse
existentielle dont l’écriture constituerait le remède (1), je voudrais prendre
« de biais » cette citation de Ionesco : nous vivons et le miracle de l’existence, et l’angoisse de mourir. Notre condition
est telle que l’un ne va pas sans l’autre.
--> L’éblouissement d’exister ne saurait être sans la représentation de
notre mort prochaine : c’est le sentiment qu’il y a urgence à vivre qui
nous donne le bon tempo de la vie ;
--> L’angoisse de mourir ne va pas sans la certitude que nous avons
tout à y perdre – à commencer par notre éblouissante existence. Qu’importerait
de mourir si nous n’étions qu’un atome sans valeur dans le brouillard du
monde ?
(On raconte que Néron contraint au
suicide, disait : « Quel artiste le monde va perdre ! »)
o-o-o
Maintenant, comme disait Lénine, Que faire ? – quelles
propositions concrètes pour lutter, ou du moins pour tenir compte de cette
douloureuse contradiction ?
--> Ionesco répond : Faire savoir que nous avons existé. Nous
revoici avec la question de la trace (cf. ici) : seulement, au lieu de
l’éviter, on va s’efforcer de la graver dans le marbre. Prétention ridicule, insupportable
fatuité ? Peut-être, mais la modestie ne nous l’évitera pas : même si
nous ne sommes pas des écrivains comme le fut Ionesco, nous avons tous le même
désir : tous, nous tâchons de laisser une trace, pour faire savoir que
nous avons existé – surtout quand c’était à deux : graffitis sur les murs,
selfies sur Facebook, cadenas de l’amour,
… ou encore : « cœurs taillésau couteau dans le bois des tables bancales »
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(1) On pourra lire à ce sujet la
citation de Maire Darrieussecq du 21 mars 2011
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