Ou dans une maison déserte quelque armoire / Pleine de
l'âcre odeur des temps, poudreuse et noire, / Parfois on trouve un vieux flacon
qui se souvient, / D'où jaillit toute vive une âme qui revient.
Baudelaire – Le flacon (Les fleurs du
mal) Lire ici
La madeleine de Proust a été choisie comme l’exemple type du
mécanisme olfactif qui produit la reviviscence des souvenirs. Mais il faut aussi
lire ce poème des Fleurs du mal de
Baudelaire qui a sur ce sujet le bénéfice de l’antériorité et surtout la
virulence. Car, si on peut, à la fin d’un repas – au moment au moment où les
estomacs brassent cette excellente gastronomie qu’on vient de leur confier – évoquer la madeleine de Proust, par contre
on ne le pourra pas avec la pestilence des cadavres visqueux dont
nous parle ce poème.
Pour ménager nos estomacs, je propose de songer à d’autres
odeurs (évoquées au début de ce poème), qui sourdent d’un Flacon – et on
supposera qu’il s’agit d’un vieux Chanel aux aldéhydes (1). L’essentiel est de se rappeler que si nos
précieux souvenirs peuvent renaitre à l’écoute d’un très vieux rock-n’-roll, ils sont encore plus facilement réveillés
par de très anciennes odeurs.
Etrange constatation : si une réalité, quoi qu’ayant disparu depuis longtemps peut revenir dans un parfum, c’est
qu’elle existe bel et bien en nous.
--> Du coup, on se prend à philosopher sur le
réel : il n’est pas uniquement ce qui existe en dehors de nous. Il dépend
aussi et peut-être surtout d’une foi particulière qui accompagne non seulement
nos sensations mais encore le souvenir que nous en gardons.
On rejette souvent avec dédain les fausses perceptions
que nous appelons « illusions
d’optiques ». On devrait au contraire les saluer comme un moyen simple et
immédiat de comprendre que toutes nos perceptions même celles qui n’existent
plus que comme souvenirs sont également colorées, pleine du suc de la vie,
parce que nous y croyons même sans le
savoir. Elles semblent s’imposer à nous alors que c’est nous-mêmes qui les
imposons.
On comprend du coup d’où vient la puissance de
certains souvenirs : si la réalité dépend de facteurs psychologiques, rien
n’empêche ces mêmes facteurs de se manifester dans le souvenir – et peut-être
d’y être plus puissants que dans la vision de la réalité actuelle. Quelle
différence entre ce paysage que je découvre pour la première fois et celui que
je voyais depuis la fenêtre de ma chambre d’enfant, dans la maison de campagne
de mes grands-parents ? Aucune sinon que le second me revient en souvenir,
accompagné de l’odeur des dentelles de ma grand-mère.
------------------------------------
(1) « Les aldéhydes … sont reconnaissables à leur
odeur métallique, grasse, chaude, et suivant l’aldéhyde, plus ou moins orangée,
grinçante, savonneuse, avec parfois un effet "fer à repasser". »
(Lire ici)
No comments:
Post a Comment