En fait d'exposition d'idées, il est un certain point de clarté au-delà duquel toute idée perd nécessairement de sa force ou de sa délicatesse. Ce point de clarté est, aux idées, ce qu'est, à certains objets, le point de distance auquel ils doivent être regardés, pour qu'ils offrent leurs beautés attachées à cette distance. Si vous approchez trop de ces objets, vous croyez l'objet rendu plus net ; il n'est rendu que plus grossier. Un auteur va-t-il au-delà du point de clarté qui convient à ses idées, il croit les rendre plus claires ; il se trompe, il prend un sens diminué pour un sens plus net.
Marivaux / Pensées sur différents sujets (1719)
Peut-on commenter un texte sans l’affaiblir ?
Marivaux dit : vouloir commenter un texte, c’est confondre intensité et netteté. Il a raison, la preuve : si je le cite, ce n’est donc point pour ajouter de la fadeur à sa clarté.
C’est parce qu’il pose très bien le problème que rencontre celui qui veut vulgariser sa pensée – ou sa science s’il en a une.
Contrairement à une idée reçue, il faut dire en effet qu’on ne doit ni tout dire, ni tout expliquer. On dira : « Selon Marivaux, c’est vrai, mais uniquement de ces pensées esthétiques – pour ne rien dire de celles qui recherchent un effet comique ou mystérieux – qui ne délivrent leur force que dans le clair-obscur de l’expression allusive. »
Certes, Marivaux vise explicitement l’esthétique : il faut pour qu’une pensée ait de la beauté, préserver l’intuition mystérieuse de son contenu, que l’explication va dissiper, et banaliser.
Mais en réalité, je crois vraiment que c’est vrai tout aussi bien des démonstrations et des analyses non seulement philosophiques, mais encore dans les sciences humaines.
Pour comprendre, il faut rattacher l’inconnu au connu, je dirai même : « l’articuler », de telle sorte que le savoir aille un peu plus loin. L’explication poussée au maximum dans sa recherche de limpidité, risque par contre d’amener à identifier l’inconnu au connu, au lieu de le relier. La méprise est alors de dire : « Ah… Je vois. C’est bien ce que j’avais déjà compris. »
Vulgariser sans détruire le contenu à transmettre, c’est savoir rendre possible la compréhension, c'est-à-dire rendre payant l’effort, l’indispensable effort pour comprendre.
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