Je n’aime pas le travail, nul ne l’aime ; mais j’aime ce qui est dans le travail l’occasion de se découvrir soi-même.
Joseph Conrad – Cœur des ténèbres
Les sujets de dissertations aux quels vous avez – peut-être – échappé
2 - Pourquoi travaillons-nous ?
Réponse de Conrad : je travaille pour me découvrir moi-même. Exemple : l’homme qui se découvre forgeron dans la forge. Ou le maçon qui se découvre géomètre en traçant les moulures – voltes, archi-voltes – du portail ou de la fenêtre.
Il faudrait peut-être séparer en deux éléments la phrase de Conrad :
– d’abord, l’affirmation qu’on ne travaille pas pour le plaisir de travailler, autrement dit que le travail est une contrainte ; mais que malgré tout, on peut se reconnaître dans cette activité – autrement dit qu’il n’est pas aliénant.
– ensuite que le travail ne produit pas le travailleur, ni les rapports sociaux, mais qu’il ne fait que le révéler à lui-même – autrement dit qu’il n’est pas exactement ce que Marx appelait une praxis.
Admettons. Mais alors, il faut une sacrée chance pour trouver le « bon » travail, celui qui justement va nous découvrir à nous-mêmes, tels que nous sommes, alors que bien sûr nous l'ignorons. Bizarre…
Je crois que nous acceptons facilement la première partie de la thèse de Conrad, mais qu’instinctivement nous récusons la seconde.
Lorsque nous optons pour un travail, c’est peut-être pour remplir une fonction sociale précise. Mais surtout, ce n’est pas pour nous découvrir, pour savoir qui nous sommes. Ou bien nous croyons le savoir, et nous avons la vocation pour l’activité qui est corrélative de notre nature. Ou alors nous y allons un peu au hasard – ou pour le statut social qui va avec, et nous nous produirons tels que notre travail nous produira.
Ce qui ne veut pas dire qu’il fera de nous le brillant sujet que nous espérons être ; ça peut échouer. Peut-être fera-t-il de nous un minable, un raté, un loser ?
En tout cas, le choix d’un travail ne se fait pas forcément sur la base de ce que nous sommes : elle peut se faire aussi sur celle de ce que nous espérons devenir.
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