L'oubli est un puissant instrument d'adaptation à la réalité parce qu'il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle.
Marcel Proust – A la recherche du temps perdu
On est très injuste avec l’oubli ; on en fait un défaut, lié à l’inattention ou à la pathologie du cerveau ; pire encore : on en fait parfois un vice, qui doit être combattu comme en témoigne le devoir de mémoire. Tout juste admettons nous que l’oubli soit une condition utile pour décharger une mémoire saturée, un peu comme on appuie sur la touche delete de l’ordinateur quand le disque dur est trop plein.
Or, on doit aussi admettre qu’il y a une « dialectique du réel » grâce à l’oubli : il nous permet de couper les liens avec la réalité – une certaine réalité – pour mieux la retrouver ailleurs. Si vous voulez un exemple, l’oubli de la mort d’un être cher, oubli issu du travail de deuil, est la condition indispensable pour que « la vie continue ». Nous sommes sans cesse déchirés par le culte du passé et l’appétit d’avenir. La ligne de partage qui sépare les deux, c’est la ligne de la vie ; le passé est mort, et s’il survit c’est justement par le fait de la mémoire. La mémoire introduit la mort dans la vie, elle la mortifie : par elle, le mort saisit le vif (qu’on me permette de jouer un peu avec le sens usuel de cette devise).
Certes, l’oubli permanent est pourtant un handicap pour l’action : celui qui ne retiendrait rien de l’expérience passée serait exposé à refaire sans cesse les mêmes erreurs. Mais justement, ce souvenir réactivé par l’action présente, cesse d’être un souvenir pour redevenir du présent. Il appartient comme le dit Bergson à la mémoire habitude, qui n’est pas datée.
Je dirai pour conclure qu’il est un autre cas où l’oubli est néfaste pour l’action : c’est l’oubli du projet, l’oubli de la promesse faite à soi-même ou aux autres.
Bref, c’est l’oubli de l’avenir.
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